5 mai 2009

Edge of Sanity

Réalisé par Gérard Kikoïne en 1989.
Avec Anthony Perkins, Glynis Barber, Sarah Maur Thorp, David Lodge, Ben Cole...
Music composée par Frédéric Talgorn.

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Le Docteur Henry Jekyll cherche à remplacer la morphine par une dilution de cocaïne comme anesthésiant pour créer un anesthésiant local non addictif et sans risque pour le patient. Un soir qu'il teste la mixture sur son singe dans son laboratoire, un geste malencontreux de l'animal provoque une réaction qui plonge la pièce dans les émanations de cocaïne. Lorsque Jekyll en sort, il se retrouve embarqué dans un trip qui le conduira aux limites de la raison : il devient Jack Hyde et s'adonne dans Whitechapel à son passe-temps favoris, le meurtre de prostituées !

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La fin des années 80 a constitué une période riche en adaptations de classiques de la littérature, on peut citer le téléfilm de David Wickes, Dr Jekyll & Mr Hyde, celui de Alan Birkinshaw, La Chûte de la Maison Usher, ou le superbe film de Dwight H. Little, Phantom of the Opera. Il est étonnant de constater que les deux dernières empruntent une voix très éloignés de leurs prédécesseurs, on sait par exemple que contrairement aux adaptations antérieures, la version du fantôme de l'opéra par Dwight H. Little, tout en étant très fidèle au roman de Leroux, est un film relativement violent. Un autre film, adapté du grand classique de la littérature gothique (The strange case of Dr Jekyll and Mr Hyde), j'ai nommé Edge of Sanity va opter pour le même parti pris en l'étirant jusqu'au limite du visible.

C'est Gérard Kikoïne qui se retrouve aux commandes de la chose, l'homme est déjà connu pour son passif cinématographique dans l'érotisme ou même dans la pornographie, sans connaître les titres, on connait au moins la réputation du monsieur et ce n'ets pas sans une certaine appréhension que l'on visionne sa mise en image très...personnelle, de l'étrange cas du Dr Jekyll et de Jack l'éventreur...pardon je veux dire, de Mr Hyde !

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Mais c'est pourtant dans un état de quasi jubilation que j'ai extirpé Edge of Sanity de sa fragile gangue de coellophane après l'avoir déniché dans une fabuleuse boutique de Bruxelles !

Dès l'introduction, ce qui frappe, c'est la douceur du score musical composé par Frédéric Talgorn, qui évoque une valse de Vienne et la photographie très net qui impose à l'oeil une définition des rouges et des noirs terriblement profonde annonçant déjà les couleurs dominantes du métrage.

Du début jusqu'à la fin, Edge of Sanity se concentre sur son personnage central, le Dr Henry Jekyll, interprété génialement par Anthony Perkins encore auréolé de la folie de Norman Bates dans Psychose d'Alfred Hitchcock. Jekyll nous est montré comme un personnage frustré sexuellement, traumatisé dans son enfance qui trouve dans la cocaïne un échapatoire qui lui permet d'assouvir ses penchants issus du trauma sans éprouver de remords et sans pouvoir être démasqué. Nuit après nuit, Jekyll devient Hyde et dans cet état second par à la recherche de Suzanna, celle qui lui causât tant de torts lorsqu'il était petit garçon trop curieux et la reconnait à travers chaque prostitué qu'il cottoie. L'acte charnel n'est jamais représenté à l'écran, ou du moins, Hyde ne s'y adonne pas, préférant pousser jusqu'au bout le parti pris de la frustration.

La mise en parallèle de Hyde et de Jack l'éventreur n'est pas sans rappeler Dr Jekyll and Sister Hyde de Roy Ward Baker (1972): tout en proposant une explication aux antipodes l'une de l'autres, les deux films jouent sur le tableau de la double personnalité, utilisant à merveille le fait que l'éventreur aie pu être doué de connaissances médicales, et pourquoi pas médecin lui-même.

Psychologiquement très riche et porté par des dialogues qui soulèvent nombre de question philosophiques (l'homme est-il libre, que deviendrait-il une fois sorti du carcan de la loi, pourrait-il profoter d'une liberté totale, ou en serait-il incapable et préfèrerai se réfugier dans l'établissement de nouvelles règles...?), le film peut aussi s'ennorgueillir de son casting. Aux côtés de l'excellent Anthony Perkins, on trouve la très jolie Glynis Barber et le très aristocratique David Lodge qui cadrent parfaitement dans le tableau de la haute société victorienne. Pour couronner le tout, les décors servent à merveille le récit: la direction artistique, tout en respectant les codes de l'époque s'autorise quelques excès ça et là, donnant au Londres du XIX un caractère Jekyll&Hyde qui en fait le jour une façade lisse de convenance et la nuit, des bas fond de débauche, humides des ébats qui les agitent. Il est à souligner aussi que la BO tient tout au long du film le même souffle qu'au début et que l'ensemble savament orchestré constitue une véritable symphonie de l'horreur dont le climax n'est pas sans faire penser au Nouveau Monde de Dvorak.

Bien sûr je ne cacherai pas que Kikoïne a par moment laissé allé sa caméra aux limites du visible, mais ce sans pour autant tomber dans la pornographie. A la manière d'un Ken Russell par exemple, il offre une relecture à la fois odieuse et géniale, ou génialement odieuse d'un mythe qui n'a jusque là été traité que de manière fort sage, ainsi qu'une pièce essentielle à la longue série des adaptation de Jekyll & Hyde qui montre qu'il est encore et toujours possible de renouveler un mythe bien connu. Il nous évite ainsi la vision d'un énième drame ou se mélange les visage de John Barrymore, Spencer Tracy ou Michael Cain (qui même s'il sont excellents n'en restent pas moins interchangeables) et fait de son Henry Jekyll un personnage à part, reconnaissable entre mille qui possède sa propre histoire, et ses propres visages.

Vous l'aurez compris, je conseille vivement Edge of Sanity à tout ceux qui s'intéressent à la nouvelle de Stevenson, qu'ils en aient vu d'autres adaptations ou non. Bien sûr, seule elle ne peut se suffire à elle-même, mais complêtée de la lecture du roman et/ou de la vision d'une adaptation plus classique, elle peut alors affirmer son originalité ! Elle n'est cependant pas à mettre devant tout les yeux et même à réserver à un public averti voire exclusivement adulte.


(petit détail intéressant, le film est produit par Harry Allan Towers et sa femme Maria Rohm qui ont tout deux fait parti de l'entourage proche de Jess Franco à la fin des années 60.)

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