8 déc. 2014

L'Epée du Sorcier


Merlin and the Sword a.k.a Arthur the King
Réalisé par Clive Donner en 1985.
Avec : Edward Woodward, Malcolm McDowell, Candice Bergen, 
Rupert Everett, Liam Neeson, Lucy Gutteridge, Rosalyn Landor, 
Patrick Ryecart, Ann Thornton, Michael Gough...

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Lors d'une visite guidée de Stonehenge, Katherine (Dyan Cannon) est attiré loin du groupe par des voix désincarnées qui critiquent les propos du guide. En cherchant l'origine de ces voix, elle tombe à travers un portail dimensionnel et se retrouve devant Merlin (Edward Woodward) et Niniane (Lucy Gutteridge) enfermés là depuis des siècles. Subjuguée, elle écoute le récit de la légende arthurienne par ceux qui en ont été les témoins et les acteurs...

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Diffusé à la télévision française il y a bien longtemps, cette version de la légende arthurienne est depuis quasiment tombée dans l'oubli et n'a connu jusqu'ici qu'une distribution en VHS ce qui ne le rend que plus difficile à voir. Comme souvent, la rareté d'un film en accroît considérablement l'attrait et le souvenir de la première vision est magnifié à mesure que la mémoire le révise au cours des années. Comme souvent, les promesses du souvenir sont traîtres et l'occasion inespérée de revoir le film est aussi l'occasion de revoir son jugement quant à sa qualité.

On ne dira pas que L'Epée du Sorcier est un mauvais film, mais il ne coûte rien de reconnaître que Clive Donner n'est pas John Boorman et que l'épée du titre n'a d'Excalibur (1981) que le nom. On est aussi très loin, malgré le casting, du prestige d'un Camelot de Joshua Logan (1967) ou de l'originalité des Brumes d'Avalon d'Uli Edel (2001, d'après la saga éponyme de Marion Zimmer Bradley). Dans son approche, Donner anticipe la mini-série Merlin avec Sam Neil (1999) mais se démarque surtout en empruntant des chemins souvent délaissés par d'autres adaptations.


Le récit de Merlin (Edward Woodward) nous amène à Camelot, alors que le roi Arthur (Malcolm McDowell) est au firmament de son règne. Heureux aux côtés de la belle Guenièvre (Rosalyn Landor), il a réussi à restaurer la paix en son royaume avec l'appui de ses fidèles chevaliers et amis, Lancelot (Rupert Everett) et Gawain (Patrick Ryecart). Mais Morgane, sa demie sœur (Candice Bergen) ne l'entend pas de cette oreille et avec l'aide du bâtard Mordred (Joseph Blatchley), elle fomente un complot visant à mener Arthur à sa perte et à détruire les fondations symboliques de Camelot. 


Alors qu'Arthur est parti mener bataille, Guenièvre est enlevée par le Barbare Grak (Liam Neeson) et faite prisonnière dans sa forteresse dont Morgane est devenue maîtresse. Pendant ce temps, Mordred profite de l'absence du roi pour propager la rumeur de sa mort et s'emparer de la couronne. Merlin oblige Arthur à choisir entre perdre son royaume en allant lui-même secourir Guenièvre, ou aller déjouer la ruse de son fils illégitime pendant que ses fidèles chevaliers volent au secours de la reine. Arthur accepte la seconde décision, la plus sensée et charge Lancelot de retrouver et de protéger Guenièvre.



La suite nous la connaissons, Guenièvre s'éprend de son jeune et pur sauveur et l'équilibre de Camelot est corrompu, l'échec de la noble entreprise n'est qu'une question de temps. Mais L'Epée du Sorcier ne rend pas seulement compte de la romance bien connue que le cinéma fantasme depuis longtemps autour de Guenièvre et Lancelot, mais s'attarde de manière inédite sur la relation amoureuse qui lie Merlin et Niniane (autrement dit, Viviane, ou Nimuh, la Dame du Lac) et qui leur vaudra de passer des siècles dans une caverne enchantée, ainsi que sur celle plus méconnue, entre Gawain et Dame Ragnelle (Ann Thornton) transformée en conte moral sur la beauté intérieure. Mais Donner choisi de ne traiter qu'une sous-intrigue à la fois donnant au développement du récit un caractère épisodique qui le rend quelque peu décousu.


Handicapé par un découpage beaucoup trop rigide, le film souffre aussi de ne pas avoir vraiment les moyens de ses ambitions. Si les décors restent honnêtes et la plupart du temps crédibles, certaines volontés d'amener des éléments fantastiques pures sont plombées par des effets spéciaux qui laissent le spectateur incrédule comme ce dragon que Morgane fait apparaître dans la salle de la table ronde. Les costumes sont l'exemple typiques de l'imaginaire médiéval des années 80, comme la musique de Charles Gross qui peine à délivrer une quelconque émotion tant elle n'est qu'un papier peint à motifs vaguement médiavalisants.


Mais malgré tous ces défauts, l'originalité de L'Epée du Sorcier et ses interprètes de choix empêchent un jugement catégorique. Loin d'être un mauvais film, il n'est simplement pas l'entreprise purement cinématographique d'un Bresson (Lancelot Du Lac, 1974) ou d'un Rohmer (Perceval Le Gallois, 1978). Clive Donner, (réalisateur entre autre de What's New Pussycat) parvient, et c'est déjà honorable, à délivrer une version intéressante quoiqu'un peu désuète de la légende arthurienne qui a quand même connu bien d'autres avatars autrement moins glorieux !

15 oct. 2014

Les Maîtresses de Dracula


Réalisé par Terence Fisher en 1960.
Avec Peter Cushing, David Peel, Yvonne Monlaur, Freda Jackson, 
Martita Hunt, Miles Maleson...
Scenario de Jimmy Sangster, Edward Percy, Peter Bryan et Anthony Hinds,
Librement inspiré du roman Dracula de Bram Stoker.
Musique composée par Malcolm Wiliamson.

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"Transylvania, land of dark forests, dread mountains and black unfathomable lakes. Still the home of magic and devilry as the nineteenth century draws to its close. Count Dracula, monarch of all vampires is dead. But his disciples live on to spread the cult and corrupt the world..." La voix off nous met immédiatement dans l'ambiance alors que la caméra de Fisher s'attarde sur une forêt brumeuse, avant de nous présenter son héroïne, Marianne Danielle, jeune institutrice française venue enseigner dans une prestigieuse pension. Abandonnée par son cocher dans un petit village, Marianne accepte l'invitation de la mystérieuse Baronne Meinster de passer la nuit au château...

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Les Maîtresses de Dracula est le second film de vampire de Terence Fisher, deux ans après le magnifique Cauchemar de Dracula, qui malgré son titre ne met aucunement en scène le Comte Dracula incarné par Christopher Lee, mais un de ses disciples, le juvénile Baron Meinster incarné par un David Peel qui préfigure le Lestat de Anne Rice. L'absence de Christopher Lee n'est pas regrettable, et elle permet au contraire de mettre en avant la présence d'une autre figure qui s'émancipe du carcan du roman Dracula pour devenir un héros fisherien à par entière, celle du professeur Van Helsing incarné encore une fois par l'immense Peter Cushing.


Au château Meinster, la belle Marianne Danielle (Yvonne Monlaur) s'aperçoit vite que la baronne cache quelque chose, et fait la connaissance du jeune baron qui se trouve enchaîné dans ses appartements. Séduite par le malheureux jeune homme, Marianne décide de l'aider à fuir la demeure de sa cruelle mère. Mal lui en prend, car les précautions de la baronne sont parfaitement justifiées : son fils est un vampire, et ne pouvant se résoudre à le détruire, elle l'a enfermé et laissé au soin de sa gouvernante.

C'est sur ce postulat de conte de fée que Fisher construit un suspens merveilleux, mettant l'accent sur l’ambiguïté du vampire, tantôt précieux et fragile, tantôt bestial, qui une fois délivré n'hésite pas à vampirisé sa mère dans une superbe scène dont les auteurs n'ont pas cherché à amoindrir la charge incestueuse. Les décors semblent tout droit sortis des gravures de Gustave Doré et on reconnait bien le talent du chef décorateur Bernard Robinson avec ses colonnes torsadées envahies de lierre, ses vitraux colorés qui teinte les intérieurs de rouge, bleu, mauve, ainsi que la photographie éclatante de Jack Asher au sommet de son art. La musique n'est exceptionnellement pas l'oeuvre de James Bernard, mais de Malcolm Wiliamson qui compose un score où une douce mélancolie le dispute à une tonitruante angoisse.



Si les nombreuses réécritures du scénario se ressentent, la cohérence du tout force l'admiration, cohérence de ton, cohérence visuelle, et surtout cohérence narrative. Les péripéties s'enchaînent avec fluidité : Marianne après sa fuite effrénée du château a la chance de tomber sur Van Helsing qui se fait un devoir de la protéger du baron qui va sans nul doute chercher à la retrouver pour en faire sa compagne dans l'éternité. La trame classique est quelque peu modifiée et le film recèle de nombreux twists scénaristiques qui servent à merveille l'inventivité visuelle de l'équipe jusqu'à un final surprenant et magnifique qui fait intervenir les fameuses maîtresses du titre.

Légèrement sulfureux, esthétiquement sublime, Les Maîtresses de Dracula est probablement la plus grande réussite vampirique de Terence Fisher, peut-être pas aussi parfait que Le Cauchemar de Dracula, plus maladroit sans doute, mais plus inventif, plus subtil, plus vénéneux assurément. Si Fisher attendra 1966 pour s'intéresser à nouveau au vampire avec Dracula, Prince des Ténèbres, la Hammer n'attendra pas aussi longtemps pour exploiter les nombreuses idées évoquées dans le scénario des Maîtresses de Dracula mais absentes du film fini, et confiera à Don Sharp la réalisation du Baiser du Vampire qui se place dans la droite lignée de son aîné fisherien.

18 août 2014

DOCTOR WHO : S'il ne fallait en citer que 5...


Voila un peu plus de 50 ans que les docteurs se succèdent et ne se ressemblent pas, officiellement on en compte 11, bientôt 12, auxquels s'est récemment ajouté un "war doctor" qui porte leur nombre à 13 et ça ne va pas s'arrêter là ! Parallèlement, on compte quelques oustiders néanmoins prétendants au titre et qui, si leurs aventures ne s'intègrent pas au canon "Doctor Who", méritent d'être cité puisqu'ils portent le nom et témoignent de la popularité et de la richesse d'une mythologie encore jeune.

S'il ne fallait en citer que 5, dans un ordre très subjectif d'importance et de préférence, la cinquième marche du podium serait réservé à l'une de ces incarnations parallèles, qui fut mon premier contact avec DOCTOR WHO : Peter Cushing !


Pendant très longtemps, Cushing fut pour moi LE visage du Docteur. Ignorant à l'époque presque tout de la série originale, c'est bien pour la seule présence de l'immense acteur britannique que je me suis intéressé aux deux productions Amicus (studio concurrent de la Hammer), Dr Who and the Daleks et Daleks - Invasion of Earth : 2150 A.D. sortis respectivement en 1965 et 1966 et dont je devais apprendre plus tard que leur seul mérite par rapport à la série aux yeux des fans étaient d'en être une sorte de produit dérivé mais en couleur. Si les deux scenarii reprennent assez fidèlement les trames des "serials" originaux (The Daleks et The Dalek invasion of Earth), le docteur, lui, n'a plus rien du seigneur du temps venu d'une lointaine planète. Pour rendre l'univers plus accessible au grand public, les scénaristes ont jugé judicieux de gommer les éléments les plus "étranges" et de faire du docteur un scientifique terrien, inventeur du TARDIS, et dont le nom de famille est "Who". Le résultat de ces modifications : L'incarnation du Docteur par Peter Cushing reste en marge du canon et cette version du personnage ne connaîtra aucune aventure originale. Cela ne revient aucunement à dire que Peter Cushing fut un mauvais docteur, bien au contraire ! Plus drôle, d'un abord beaucoup plus sympathique que son rigide contemporain William Hartnell, ce "non-docteur" n'est en aucun cas une erreur de casting !

La curiosité n'a rien d'un vilain défaut, et le temps passant, il m'a paru nécessaire de me pencher sur les aventures d'un avatar digne de ce nom du Time Lord millénaire. Lors de ma seconde rencontre avec le Docteur, il avait les traits de David Tenant.



Doctor Who a alors acquis à mes yeux une nouvelle dimension. On s'attache énormément à celui qu'on nomme affectueusement son "premier docteur", et puisque Peter Cushing, recalé de la chronologie, ne souffrait aucun numéro, le dixième docteur fut donc mon véritable premier, avec tout ce que cela comporte de déchirement : voir partir son premier docteur, quelle douleur ! L'ère Tenant est riche en rencontre et en départ, teinté d'un fatalisme auquel un bouleversant "I don't wanna go" ne changera rien, c'est à cette période que la musique acquiert une place primordiale et le Vale Decem de Muray Gold est une apothéose. Prenant conscience d'un immense retard à rattraper, je m'engouffrai par cette porte d'entrée pour suivre le tardis dans des aventures bien antérieures, histoire de me familiariser avec les événements qui avaient conduit à la construction d'un personnage aussi complexe...

Il est bien difficile de retrouver ses marques lorsque l'on passe des standards télévisuels de 2006 à ceux de 1963. Mais il est fascinant de retracer l'évolution du personnage depuis l'austère et pourtant lui aussi très attachant William Hartnell. Avant de parler de mon coup de foudre parmi les "classics", j'accorderai la troisième place à un docteur qui symbolise pour moi l'élégance décalée du personnage : Jon Pertwee.


La mise impeccable et l'ironie facile, ce dandy docteur est un superbe anachronisme qui anticipe pourtant une mode très "rockstar" à l'aube des années 70. Mais c'est à cette période que la série commence à montrer des limites scénaristiques qui resteront plus ou moins les mêmes jusqu'en 89. La solution de ce docteur à la plupart des problèmes : "Reverse the polarity !", une catchphrase au potentiel comique qui participe au culte de l'ère Pertwee. Reconnaissons à ce troisième docteur l’exploit d'avoir maintenu la barre que son prédécesseur avait placé très haut.

Ce prédécesseur, c'est l'inénarrable Patrick Troughton, qui a fait du docteur ce vagabond de l'espace au grand cœur, un clown triste qui a marqué d'une empreinte indélébile la personnalité de tous ses successeurs.


The Enemy of the World, Tomb of the cybermen... autant d'exemples qui font de l'ère Troughton l'une des plus fastes périodes de la série en terme d'écriture, de mystère et d'ambiance. C'est aussi l'époque de l'arrivée de personnages clés, tel le brigadier Lethbridge-Stewart et d'un ralentissement bienvenu dans le renouvellement des compagnons qui laisse enfin le temps de s'attacher à des sidekicks bien plus important qu'il n'y paraît.

A bien des égards, la personnalité du second docteur est proche de celle d'un autre docteur qui fera son apparition bien plus tard...


Au fur et à mesure que le docteur vieillit, il semble que ses incarnations rajeunissent. Ça ne fait pas pour autant de Matt Smith, le onzième docteur et le plus jeune à ce jour, une version édulcorée du personnage. Plus que jamais le docteur révèle une face sombre et torturée qui cohabite avec des accès impromptus de légèreté qui rendent à la fois inquiétant et attendrissant cet être mélancolique. Je l'ai dit, voir partir son premier docteur est un déchirement, et j'étais disposé à détester tout successeur à David Tenant pour la simple raison, qu'il succédait à David Tenant. Matt Smith a eu très vite raison de mes réticences et bientôt, c'est à lui que revint ma préférence. Steven Moffat, prenant le poste de Russel T. Davies en tant que Showrunner est l'instigateur des tournants les plus marquants de la série depuis longtemps et pare Doctor Who d'un voile tragique que d'autres n'avaient fait qu'esquisser. Plus que jamais le docteur a besoin de la proximité de ses compagnons, puisque "the old man prefers the company of the young, does he not ?" et la seule longévité d'Amy Pond témoigne de sa peur du changement. Qu'il soit le premier docteur à s'être marié n'en fait pas un homme rangé, et dans son histoire avec River Song la série se voit atteindre un point d'orgue émotionnel qu'elle aura sans doute du mal à réitérer. Pour toutes ces raisons et pour plein d'autres, le onzième docteur est mon docteur !

Mais comme on est pas obligé de n'en citer que 5... on se retrouve très vite pour examiner les autres !

4 mars 2014

Le Chien des Baskerville


Réalisé par Terence Fisher en 1959
Avec Peter Cushing, André Morell, Christopher Lee, Marla Landi, Francis De Wolff, Mile Malleson...
Scénario de Peter Bryan d'après le roman de Sir Arthur Conan Doyle.
Musique composée par James Bernard.

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En 1959, Terence Fisher a déjà adapté deux grands classique de la littérature gothique et néogothique avec The Curse of Frankenstein et Horror of Dracula pour la Hammer. Après Frankenstein et Dracula, la troisième grande figure de la littérature britannique est bien évidemment Sherlock Holmes. C'est cette fois Peter Bryan et non Jimmy Sangster que l'on trouve au scénario, mais on retrouve la brochette d'habitués, à la musique d'abord, James Bernard, à la photographie, Jack Asher, aux décors, Bernard Robinson et aux maquillages Roy Ashton, autant dire l'assurance d'une atmosphère à la fois terrifiante et envoûtante.


Si l'on excepte les quelques libertés prises avec les faites décrits dans le roman de Doyle, il s'agit probablement sinon de la meilleure, de la plus célèbre adaptation pour de nombreuses raison, la raison principale étant l'interprète de Sherlock Holmes lui-même : Peter Cushing ! Cushing n'aura interprété qu'une fois le rôle de Holmes au cinéma (il ne le reprendra que pour la télévision) mais aura marqué durablement l'histoire du célèbre détective, et inversement, c'est le rôle que l'on cite le plus souvent, avant le baron Frankenstein (qu'il interprète six fois) et le Dr Van Helsing (cinq fois). L'acteur retrouve évidemment son grand ami Christopher Lee, qui cette fois n'incarne pas le mal mais la victime - Sir Henry que Holmes tente de protéger d'une terrible malédiction - et partage aussi l'affiche avec André Morell qui apparaît à l'époque comme le Watson le plus proche du bon docteur décrit par Doyle, largement meilleur en tout cas que Nigel Bruce.



En dehors des considérations sur l'histoire elle-même et sur la qualité de ses interprètes, il faut une fois de plus reconnaître à Fisher un immense talent lorsqu'il s'agit d'en venir à l'aspect humain. S'il l'avait déjà prouvé avec The Revenge of Frankenstein, Sherlock Holmes apparaît comme un sujet plus "sérieux" et lui permet de le faire reconnaître par un plus grand nombre de spectateur et par la critique qui considérera qu'il s'agit d'un des plus grands films de la Hammer et le place toujours en haut de la liste des meilleures adaptations des aventures de Sherlock Holmes.

The Hound of the Baskerville est donc une excellente approche pour qui viendrait à découvrir les aventures du détective créé par Arthur Conan Doyle, mais surtout l'un des chef-d'oeuvre de la Hammer, s'inscrivant parfaitement dans la logique de l'oeuvre de Terence Fisher. Oeuvre qui continuera de s'étendre la même année et les suivantes avec La Malédiction des Pharaons, Les Maîtresses de Dracula, Les Deux Visages du Dr Jekyll ou La Nuit du Loup-garou, autant de réussites qui ne viendront jamais démentir l'éloge fait au réalisateur pour Le Chien des Baskerville.

5 janv. 2014

La Bouche de Jean Pierre


Réalisé en 1996 par Lucile Hadzihalilovic.
Avec Denise Aron-Schropfer, Sandra Sammartino, Michel Trillot...

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« Jusqu’où est-on innocent dans le regard ? » C’est, selon Christophe Gans, la question que pose le cinéma de Lucile Hadzihalilovic, une question qui se pose forcément à la vision de son moyen métrage LA BOUCHE DE JEAN PIERRE, appuyée par les nombreux témoignages des acteurs, techniciens et proches de la réalisatrice. A quel moment quitte-t-on le statut de spectateur pour celui de témoin complaisant d’une tragédie bien ordinaire ? Pour la compagne de Gaspard Noé, il n’y a pas de frontière. Devant la caméra de la réalisatrice d’INNOCENCE, les ficelles du conte de fée sont au service du réalisme social le plus sordide, le territoire cinématographique est le théâtre d’un merveilleux aussi perturbant qu’il s’insinue dans la banalité dépressive d’un HLM.

Après la tentative de suicide de sa mère, Mimi s’en va vivre quelques temps chez sa tante Solange. La fillette a bien du mal à trouver sa place dans le minuscule appartement qu’elle partage non seulement avec Solange mais avec le compagnon de cette dernière, Jean Pierre, dont l’attitude est de plus en plus étrange. L’orpheline, recueillie par des clones de Thénardier, serait à la merci d’un ogre qui n’a rien d’une figure fantastique, d’un grand méchant loup urbain, les quelques lignes du Petit Chaperon Rouge que lit Mimi clignotent alors presque comme un sinistre avertissement. L’aspect réalisme social de l’ensemble renvoie à ce que mettait en lumière avec défiance et humilité Maurice Pialat dans L’ENFANCE NUE, une image crue dont la beauté, sévère comme savent l’être les regards d’enfants, hante l’inconscient autant que le plus sauvage des crimes qu’auraient mis en scène Lucio Fulci ou Dario Argento.

Si on pense fatalement à la pédophilie, restreindre la portée de LA BOUCHE DE JEAN PIERRE à cette seule thématique et à son traitement aussi subtil que dérangeant serait faire fi de toute la virtuosité des cadrages et de la mise en scène qui rendent aussi angoissant un récit aussi simple. S’ingénier à définir ce que jamais n’actualise le film le ferait passer pour un essai filmique inaccessible tant l’aspect sensualiste prédomine sur l’aspect narratif comme c’est le cas dans AMER de Bruno Forzani et Hélène Cattet, qui n’est autre qu’un rejeton grammatical de LA BOUCHE DE JEAN PIERRE qui met un peu plus en avant ses influences giallesques.

Car la grammaire de Lucile Hadzihalilovic n’a rien de littéraire, elle est toute entière cinématographique et n’importe quel cadrage, n’importe quel plan, avec sa chorégraphie minimale, son éclairage et ses couleurs (un jaune et un vert en constant affrontement, peut-être échappés de la palette de Mario Bava), en dit bien plus que toutes les répliques réunies. Le spectateur devient tout aussi bien le témoin impuissant des assauts de Jean Pierre sur Mimi qui se réfugie dans la contemplation de ses poupées alors qu’il tente de lui arracher un baiser que Mimi elle-même lorsque par l’entrebâillement d’une porte elle observe Solange et Jean Pierre en train de faire l’amour. Cette identification au regardant métamorphose la scène de façon plus extraordinaire que n’importe quel artifice. Sous les yeux de Mimi, les ébats du couple deviennent une lutte douloureuse et malpropre, une illustration de la dévoration de mère-grand.

Lucile Hadzihalilovic le dit elle-même, le giallo fut une de ses portes d’entrée dans le cinéma, et son atmosphère se fraye encore et toujours un chemin vers ses œuvres. LA BOUCHE DE JEAN PIERRE ne vient en rien démentir cette affirmation, pas plus que ne la viennent contredire ses autres films comme le court-métrage pornographique et surréaliste GOOD BOYS USE CONDOMS réalisé pour Canal+ dans la série « A Coups Sûrs ». Pas de morts violentes, de lames scintillantes ou de gants de cuir noir ici, mais dans l’exploration d’un appartement à la géographie indiscernable, des couloirs de l’immeuble au papier peint moutarde et aux néons blafards, dans les mouvements de caméra de Gaspard Noé et les hors champs improbables, on retrouve cette approche à fleur de peau qui fut celle d’œuvres solaires ou étouffantes mais toujours sensitives comme TORSO de Sergio Martino, LE LOCATAIRE de Roman Polanski ou STALKER d’Andreï Tarkovski. Si cela semble de prime abord très hétéroclite, c’est que la réalisatrice et ceux de son espèce (menacée peut-être de disparition, mais toujours généreuse en création) piochent dans le fourre-tout de leurs découvertes adolescentes et font de leur œuvre un album au caractère presque sentimental.

Mais il n’y a aucune nostalgie dans la démarche, il n’y a que l’ambition de faire du cinéma, du vrai cinéma, au sein duquel le sens nait de la cohabitation des images et du mouvement qui les habite. On dit de certains films marquants, pour affirmer leur statut, qu’ils sont intemporels, ou pire, qu’ils « vieillissent bien », compliment éculé que l’on sort une fois de temps en temps dans sa moustache, en parlant tout aussi bien d’un film que de la femme du voisin. J’aurai tendance à dire qu’au regard de ses influences et de sa démarche, qui sont celles de tous les cinéastes intéressants de ces dernières années, LA BOUCHE DE JEAN PIERRE pousse le vice jusqu’à carrément rajeunir.


25 nov. 2013

An Adventure in Space and Time


Réalisé en 2013 par Terry McDonough.
Ecrit par Mark Gatiss.
Avec : David Bradley, Jessica Raine, Sacha Dhawan, Leslie Manville, Brian Cox, Claudia Grant...

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1963. Verity Lambert ne se doute pas qu'elle va mettre en oeuvre le feuilleton qui battra tous les records de longévité alors qu'elle accepte de produire l'idée farfelue de Sydney Newman. Si Doctor Who est né, c'est au départ pour combler une case vide dans la grille de programme, Sydney songe donc à remplir cette case avec un programme semi-éducatif, attrayant pour le jeune public, et quoi de mieux pour attirer le jeune public des années 60 que la science-fiction ? Le jeune réalisateur Waris Hussein est engagé pour mettre en boite les premiers épisodes, une obscure histoire d'hommes des cavernes qui, il en est sûre, va tuer sa carrière dans l'oeuf. Personne n'attend de miracle de la part de Doctor Who, personne n'en fait grand cas, les concept arts du TARDIS ne sont pas prêts, seul William Hartnell, atterri là on ne sait comment, approché par Verity pour interpréter un personnage titre dont il ne sait presque rien, semble s'impliquer à 100% dans l'aventure qui est sur le point d'advenir.


Avec ce téléfilm, c'est un superbe cadeau qu'offre Mark Gatiss aux fans du Docteur qui fête ses 50 ans ! Revenant sur les années Hartnell, il met en lumière les débuts de la série, lève le voile sur les hésitations des membres de l'équipe, leur manque de foi parfois dans le projet, et rend surtout un bel hommage au premier interprète du Seigneur du Temps le plus célèbre du petit écran. On ne s'étonnera pas du travail de reconstitution phénoménal réalisé pour ce docu-drama que la BBC prend véritablement au sérieux (c'est un morceau non négligeable de l'Histoire de la chaîne qui est d'ailleurs raconté). Rien n'est laissé au hasard, au delà de la simple ambiance sixties, ce sont les décors originaux des premiers serials qui reprennent vie, et des fragments de tournages qui sont rejoués au détails près. Superbement écrit, An Adventure in Space and Time dépasse le cadre du simple docu-drama et cherche et trouve sans mal l'implication émotionnelle du spectateur.


Cette part d'émotion ne tient finalement qu'aux acteurs de cette genèse, principalement à William Hartnell ici incarné par David Bradley, le concierge revêche de Poudlard, qui nous est montré comme un anti-héros des plus attachants, mais surtout comme un acteur investi corps et âme dans le seul rôle pour lequel on se souviendra de lui. Si l'on excepte Reace Shearsmith, dont le physique trop éloigné de celui de Patrick Troughton ne parvient pas à restituer qui était le génial successeur de Hartnell, le reste du casting est un sans faute. Gatiss est finalement parvenu à concrétiser le rêve des "Whovians", faire de nous les témoins, grâce au TARDIS de la petite lucarne, de la naissance d'une superbe mythologie qui n'a pas fini de s'écrire !

8 août 2013

Justine de Sade


Réalisé par Jess Franco en 1968
Avec : Romina Power, Maria Rohm, Klaus Kinski, Jack Palance, Mercedes McCambridge, 
Akim Tamiroff, Howard Vernon, Rosemary Dexter, Rosalba Neri, Sylva Koscina...
Scénario de Peter Welbeck (Harry Alan Towers) 
d'après Les Infortunes de la Vertu de D.A.F. de Sade.
Musique composée par Bruno Nicolaï.

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On relègue souvent ce Justine de Sade au second rang des œuvres de Jess Franco, ne reconnaissant que sa valeur en tant que première adaptation fidèle d'une oeuvre de Sade et ne lui accordant que les qualités d'un film en costume dans les standards de l'époque. C'est pourtant oublier que si Franco sait, quand il le faut, s'adapter à un cahier des charges précis, surtout dans le cadre de "grosses" productions comme ici, il n'en est pas moins l'homme derrière la caméra et que par conséquent, sa patte s'en ressent. C'est très volontier que l'homme accepte de réaliser le projet soumis par Harry Alan Towers, qui lui présente même d'emblée un scénario fini, et c'est le point de départ pour le réalisateur madrilène d'une longue histoire d'amour et de cinéma avec le Marquis de Sade, qu'il adaptera à maintes reprises par la suite.

Dès l'ouverture, Franco s'affirme, distend les limites du cadre, joue avec la mise au point, alors qu'il nous présente son Marquis de Sade que l'on amène dans sa cellule. Le Sade interprété par Klaus Kinski tourne comme un lion en cage, tandis que les zooms et dézooms incessants de Franco font disparaître puis réapparaître les barreaux nous laissant par intermittence entrer dans l'univers étouffant du marquis. La musique martiale presque brutale, de Nicolaï s'adoucit, retrouve en mélodie ce qu'elle perd en immédiateté, en accompagnant les songes du marquis qui, soudain assailli de visions plus ou moins abstraites (on devine des corps torturés, la pointe d'un sein d'une blancheur nacrée dans la lumière qui fait écho à la plume immaculée posée sur le bureau), s'empare de sa plume et ce met à écrire ce qu'une voix off nous annonce comme "l'histoire de Justine ou les Infortunes de la vertu". Dans un coin de la cellule est apparu Justine, prostrée, les mains jointes sur son intimité, qu'un fondu enchaîné transforme en fleurs rouges alors que le générique défile.


On vient presque d'assister à un film avant le film avec cette introduction baroque, fascinante, dans laquelle tous les éléments s'accordent parfaitement. Nous sont alors présentées Juliette et Justine, l'une coquette et perfide, l'autre innocente et vertueuse, deux orphelines laissées à la porte d'un couvent avec chacune cent écus. Si Juliette s'empresse de les faire fructifier en prenant une place dans l'établissement de Madame Du Buisson (une maison close), Justine refuse ce travail déshonorant et préfère faire confiance à un moine qui lui promet de mettre sa bourse en sûreté, moine qu'évidemment, elle ne reverra jamais. La Justine du film ne nous apparaît par tant vertueuse que con comme une bèche, un défaut du personnage selon le réalisateur lui-même plus attaché à la Justine du roman qui fait montre tout de même d'une certaine intelligence. Cette tare, il l'attribut à l'actrice elle-même, Romina Power, la fille de Tyron Power, qui traverse le film avec l'air de n'y rien comprendre. L'oie blanche supporte ses malheurs avec l'aplomb d'un personnage de cartoon et l'empathie que l'on pouvait ressentir vis à vis du personnage s’efface peu à peu. Victime des manigances d'un logeur peu scrupuleux, arrêtée et conduite à la bastille, elle tombe sous la coupe de la Dubois, chef d'une bande de criminelle qui met à contribution la jeune fille pour son évasion. Malmenée par la bande de la Dubois qui demande une reconnaissance en nature, elle s'enfuit à travers la foret et vient s'évanouir devant un peintre qui, le souffle coupée par cette apparition ne sait demabder que "puis-je vous aider ?".


Justine glisse alors hors du temps tandis que ce prince charmant la porte vers un mini château disney entouré de glaïeuls. Ce personnage est Raymond de Briac, totalement absent du roman de Sade. Cet îlot de calme pour Justine a tout d'un rêve, les intérieurs sont nimbés de rose, l'histoire d'amour naissante et l'affirmation de la personnalité de Justine aux côtés de son sauveur redonne quelques couleurs au personnage, mais si ce n'est pas un rêve, alors cela en suit tout de même la logique. Le tout tourne au cauchemar, lorsque forcée de s'enfuir de chez Briac car elle est poursuivie pour son évasion, elle tombe sur l'alter ego maléfique de son amant, le marquis de Bressac. La ressemblance des deux noms laisse penser qu'ils sont un seul et même personnage, divisé en deux par l'esprit de Justine, en effet dans le roman, lorsqu'elle rencontre Bressac, elle est encline à déceler en lui des valeurs qui l'atirrent, avant de ne plus voir que sa nature débauchée et cruelle. Un détournement qui renforce l'aspect onirique d'un film qui est toujours ponctué par les réflexions de Sade/Kinski qui est celui qui tire les ficelles du cauchemar. Cette parti affiche plus que jamais le caractère ambitieux de la production auxquels participent décors et costumes, Justine  passe dans un autre décor, tout droit sorti d'Angélique, marquise des anges, et une nouvelle farce dont elle est le dindon la fait passer pour une criminelle.


Elle n'est pas au bout de ses peines, et sitôt s'est-elle éloignée de Bressac, qu'elle suit le conseil d'une étrange bergère, qui tel une personnification bergmanienne de la Mort lui indique un monastère où elle pourra se réfugier. La musique à l'orgue et la légère plongée sur le visage aux yeux écarquillés de la bergère achèvent de rendre la rencontre étrange. Ce monastère a tout de l'enfer, ses moines n'ont pour étude que la recherche continuelle du plaisir, qu'ils appliquent avec leurs invitées lors de cérémonies obscènes. A la tête de cet ordre se trouve Jack Palance interprétant frère Anthonin. Halluciné, vraisemblablement alcoolisé, l'acteur délivre une partition dantesque, avançant sans marcher, en flottant tel un saint, déclamant une tirade sur l'objet de sa quête et hissant Justine au sommet de sa réflexion, car ici enfin, le film rejoint le roman, lorsque Justine accepte de tendre l'oreille au discours de ses bourreaux et de reconnaître que n'est bon que ce qui se soumet à la loi de la nature. Mais c'est au fantastique alors de doubler d'intensité quand la foudre, qui dans le roman s'abattait sur Justine mettant fin à son calvaire, s'abat sur le monastère pour la délivrer en plein rituel. Alors qu'elle s'enfuit, les moines ne peuvent la suivre, comme prisonnier de l'enceinte même percée du lieu de leur retraite.


Il ne s'agit là que d'un échantillon des malheurs de la pauvre Justine, tandis que sa sœur, Juliette ne fait qu'accroître sa fortune à force de crimes et grimpe les échelons de la société à toute vitesse. Leur retrouvailles sont un soulagement, tant on s'est prit à souhaiter la fin des persécution pour Justine. Ce final qui voit Juliette faire preuve de bonté en sauvant sa sœur, et Justine  partir au bras de Briac qui l'a retrouvé a souvent été reproché à Franco qui trahit ici largement le discours de Sade, mais il ne faut pas oublier la malice du réalisateur, qui après cette conclusion tout sucre tout miel convoque à nouveau le divin marquis Kinski, et sous entend, promenant sa caméra sur un encrier renversé, que pour écrire une fin pareille, il faut que l'homme ait perdu la main. Se reprenant, le marquis raye ses dernières lignes, annulant de fait ce final idyllique et pose le front sur le parchemin en signe de résignation, laissant le spectateur songer à quel dénouement s'expose en fait la pauvre Justine.

Faut-il vraiment voir ce film comme une véritable adaptation des Infortunes de la Vertu et le juger en conséquence, comme trop sage ou trop superficiel, ou faut-il au contraire y voir plus qu'autre chose, une oeuvre dérivée, du para-Sade en quelque sorte qui répond plus aux principes de l'univers francien qu'à l'objet littéraire dont il tire son titre et ses péripéties ? La seconde hypothèse joue plus en faveur de cette oeuvre qui souffre malgré tout de son statut de production respectable, qui bride Franco dans ses aspirations sadiennes qu'il parviendra à satisfaire dans d'autres films plus tardifs, mais ça, c'est une autre histoire.