24 févr. 2012

Adieu Lina

Le début des années 70 a vu la rencontre de deux personnalités qui semblaient faites pour s'entendre : Jess Franco et Lina Romay. Depuis 40 ans elle lui avait voué sa carrière, depuis 40 ans il lui avait voué ses films.
Si elle interprète pour lui quelques petits rôles, comme dans The Sinister Eyes of Dr Orloff, c'est avec La Comtesse Noire qu'elle arrive sur le devant de la scène "bis" et s'impose comme la nouvelle raison d'être du cinéma de Jess Franco qui adapte son univers à la persona de sa nouvelle muse qui deviendra sa compagne et sa meilleure associée.
Issue du théâtre amateur, contestataire et exhibitionniste, Lina se donne corps et âme devant la caméra de l'homme de sa vie, comme lors du final bergmanien de Lorna l'exorciste (1974), et se montre espiègle au possible dans Les Chatouilleuses (1975) endossant tantôt le costume de religieuse et celui de Zorro. Elle se parodie quelque peu elle-même sous l'identité de Candy Coster dans les années 80, comme dans Macumba Sexual (1981). Incarnant à elle seule le cinéma francien depuis 1973, sa carrière compte aujourd'hui plus d'une centaine de films en collaboration avec celui pour qui les noms du petit Jesus et du général Franco sont un peu lourds à porter.

J'apprends aujourd'hui que Lina est décédée le 15 février dernier, emportée par un cancer à l'âge de 57 ans. J'ai le coeur gros pour Jess Franco.

12 févr. 2012

Dracula Prince des Ténèbres

Réalisé par Terence Fisher en 1966.
Avec Christopher Lee, Barbara Shelley, Suzan Farmer, Andrew Keir, Francis Matthews, Thorley Walters, Charles Tingwell, Philip latham...
Scénario de Anthony Hinds et Jimmy Sangster. Librement inspiré du roman de Bram Stoker.
Musique composée par James Bernard.
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Egarés dans les Carpates, deux couples de voyageurs se trouvent forcés de passer la nuit aux château de Dracula. Ils ignorent tout du personnage et l'amabilité avec laquelle les accueille Klove, son serviteur les met très vite en confiance. Mais les desseins que nourrit Klove à leur égard sont sinistres : son maître a en effet besoin de sang frais pour se régénérer...
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Dracula Prince of Darkness s'ouvre sur une évocation de son ainé, en forme de flashback narrant la confrontation entre Van Helsing et Dracula. Préjudiciable pour le film dirons certains, pas forcément utile dirons les autres. Il est vrai qu'il a toujours été difficile de rattacher au niveau narratif, et même qualitatif ce Prince des Ténèbres au Cauchemar original. Mais en dehors de toute vision comparative, il est indéniable que Dracula Prince of Darkness mérite qu'on lui rende justice.
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Sorti en 1966, au milieu d'une vague de films tournés "dos à dos" (Dracula prince des ténèbres prètera la même année ses décors et ses acteurs au Raspoutine de Don Sharp), le film n'a il est vrai pas la photographie flamboyante de la première entrée de Fisher dans l'univers du vampire Stokerien. L'approche du cinéaste privilégie cette fois l'ambiance, et l'entrée en matière est beaucoup plus étendue et beaucoup plus sophistiquée que celle du film de 58. Nous sommes devenus en 8 ans de véritables spécialistes du vampire, c'est du moins ce que Fisher suppose, en nous offrant cette séquence d'exposition de plus de 25 minutes, assez jubilatoire dans la montée en tension qu'elle propose. Quatre voyageurs insouciants, conduis par un attelage sans cocher dans un vieux château perdu au milieu des Carpates, et qui commencent à avoir des doutes quant à la décision d'y passer la nuit qu'ils ont pris d'un -presque- commun accord. Fisher prend le temps d'installer ses personnages dans le décor et de nous les présenter comme il faut, histoire peut-être de ne pas y revenir ensuite, et s'attarde sur les personnages féminins auxquels il accorde une importance cruciale. Répétant le schéma stokerien en proposant une dualité propre aux personnages de Lucy et Mina, il met donc en avant ici Helen (Barbara Shelley) et Diana (Suzan Farmer), en se permettant un écart conséquent : Helen, avant d'être la première victime du vampire, sera celle qui mettra tout le monde en garde, affichant ses mauvais pressentiments, et arborant un air de bourgeoise effarouchée qui arbore sa vertu en broche, là ou Diana, qui sera au final la plus forte, est l'insouciante de la bande, jolie blondinette qui évoque avec malice ses amours de collège. Fisher se permet ici d'inverser les caractères et les destinés, pour mettre en avant le côté désinhibant de la condition vampirique. Ainsi, Helen va devenir la vampire/femme fatale que campera merveilleusement une Barbara Shelley qui affiche qui plus est une grande complicité avec Christopher Lee, et Diana appuiera son refus d'abandon à coup de carabine !
Mais avant d'en venir au final, il ne faut pas manquer d'évoquer le jeu de Christopher Lee, plus minéral que jamais, tout en magnétisme et surtout en silence. L'acteur privé de dialogues, offre une performance bluffante en transformant cette absence de mots par de l'émotion brute, passant par le regard et par les gestes : on comprend que Barbara Shelley se laisse vite aller à la morsure.
Fisher pallie à l'absence de Van Helsing via la présence du Père Sandor (Andrew Keir), moine bon vivant et inclu dans cette suite un personnage oublié du premier film : Renfield, ou plutôt ici Ludwig, incarné par un Thorley Walters cabotin. N'oubliant pas de rétablir le rythme, le réalisateur nous offre une course poursuite contre le vampire qui s'achève par un duel sur la glace mémorable et à l'issue duquel c'est Diana qui aura le dernier mot. Comme il se doit à la fin de chaque Dracula de la Hammer, le vampire est défait, d'une manière ici assez inattendu, mais assez poétique pour souligner le caractère éternel du personnage, qui restera intact, prisonnier de la glace (ça nous change de l'habituel tas de cendres), pour toujours, certainement pas, mais au moins jusqu'au prochain film.
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Le seul défaut possible de Dracula Prince of Darkness est d'être une suite dont on attend forcément trop? Conscient de ce fait, Fisher ne cherche pas à surpasser Le Cauchemar de Dracula mais à s'en détacher le plus possible (c'est là que le flashback devient préjudiciable) pour parvenir à l'égaler en qualité. on a longtemps reproché à Dracula/Lee son mutisme dans ce film, mais c'est pour mieux reconnaître à présent que loin d'être contingent, il participe à l'horreur : des monstres qui peuplent nos cauchemars, si ceux qui parlent nous font peur, ceux qui se taisent nous tétanisent.