25 juil. 2012

Frankenstein et le Monstre de l'Enfer


Réalisé par Terence Fisher en 1974.
Avec Peter Cushing, Shane Briant, Madeleine Smith, David Prowse, Charles Lloyd-Pack, Patrick Troughton...
Scénario de John Elder.
Musique composée par James Bernard.
***

Présumé mort, le baron Frankenstein officie sous le nom de Karl Victor dans un asile. Les dossiers qu'il possède sur le personnel lui permettent de mener ses expériences sans être dérangé, mais ses mains, brûlées dans un incendies ne sont plus ce qu'elles étaient et un assistant ne serait pas de trop. la chance sourit au vieux baron puisqu'un jeune chirurgien vient justement d'être interné après avoir tenté de reproduire les expériences de Frankenstein qu'il a pris pour modèle...
***

En 1970, la Hammer en quête de renouveau avait tenté d'apporter du sang neuf à l'une de ses sagas phares, en a résulté The Horror of Frankenstein, dans lequel Ralph Bates (Taste the Blood of Dracula, Dr Jekyll & Sister Hyde...) remplaçait Peter Cushing pour une révision du roman de Mary Shelley dont la réalisation confiée à Jimmy Sangster n'est pas des plus brillantes. Pas question de clore le chapitre Frankenstein sur cet essai peu concluant, et surtout sans avoir convié Peter Cushing à la fête. Terence Fisher va donc mettre sur pieds avec Anthony Hinds et son acteur principal cette conclusion, qui sera son dernier film, ainsi que le dernier film gothique de la Hammer.

L'ouverture présente tous les ingrédients emblématiques de la série : un voleur de cadavre, payé par un médecin aux méthodes peu orthodoxes, l'intrusion d'un policier dans le laboratoire, et le procès du scientifique jugé fou. Cette introduction est déjà un "petit Frankenstein" à elle seule. Le jeune chirurgien interné pour cause de démence, Simon Helder est interprété par Shane Briant (Demons of the Mind, Captain Kronos : Vampire Hunter, Straight on Till Morning) qui achève un contrat de quatre films avec la Hammer. Helder éprouve une grande admiration pour les travaux de Frankenstein et son internement va lui donner l'opportunité de rencontrer son idole.



C'est un Frankenstein émacié, plus minéral que jamais que nous rencontrons alors qu'il vient en aide à Helder qui subit les mauvais traitement des gardiens. L'autorité de Frankenstein au sein de l'asile est indiscutable, et même les pensionnaires lui témoignent un grand respect. Cette autorité le baron la doit à certaines informations sur le personnel que les intéressés n'aimeraient pas voir divulgués, le directeur de l'asile en particulier dont le comportement avec les patientes est loin d'être éthique. Frankenstein ou plutôt le Dr Karl Victor n'est plus une figure aussi menaçante qu'il ne l'était dans Frankenstein must be Destroyed, il semble au contraire très apprécié et on trouve à ses côtés une très jolie jeune femme du nom de Sarah que tout le monde surnomme l'Ange. Pour la première fois, le baron semble manifester un attachement particulier à une personne du sexe opposé. L'Ange (Madeleine Smith qui trouve ici l'un de ses meilleurs rôles), dont le mutisme renforce l'altérité par rapport à son environnement, est une sorte de personnage intouchable que tous les pensionnaires semblent aimer et vouloir protéger, sa présence semble d'ailleurs toujours être une source d'apaisement : elle est aimée, mais jamais convoitée.

Sarah a été, nous dit le baron, ses mains, avant que n'arrive Helder. Leur rencontre va redonner à Frankenstein l'espoir de réussir enfin l'expérience qui a motivé son existence entière : créer un être humain de toute pièce. Les pensionnaires de l'asile vont offrir aux savants fous le matériel nécessaire à l'élaboration d'un être parfait. Le suicide d'un dément aux allures néandertaliennes fournit un corps puissant, la mort inexpliquée d'un sculpteur, des mains d'orfèvre et le suicide provoqué d'un mathématicien violoniste à ses heures, un cerveau brillant. Si Frankenstein nous apparaît quelque peu assagit et beaucoup plus humain qu'à l'accoutumé, on aura vite compris que les morts "accidentelles" ou les "suicides" sont de sont fait, nécessité faisant loi. Le pauvre violoniste, professeur Durendel (Charles Lloyd-Pack excellent) se suicide en effet après avoir vu une note certifiant qu'il est incurable, laissée négligemment dans sa cellule par le baron. Il n'y a donc pas de rémission possible pour Frankenstein qui est le véritable incurable de l'asile, poursuivant échec après échec ses expérience quoiqu'il en coûte.



Mais malgré le matériel réuni, la créature qui en résulte est tout à fait grotesque. David Prowse (que l'on reconnaîtra, ou pas, trois ans plus tard sous le masque de Dark Vador) malgré un maquillage extrêmement lourd et contraignant parvient à faire passer suffisamment d'émotion pour attirer la sympathie dans le rôle de cet être raté, cette personnalité raffinée et brillante (Durendel) coincée dans un corps grossier, dont les mains, étrangères, refusent d'obéir. Le baron ne semble pas se rendre compte du ridicule et de l'horreur du résultat et il tente en vain de maintenir à flot le cerveau du professeur en essayant de lui apprendre à commander un corps qui rejette ses greffes. Il y a dans cette révision du schéma original une dimension pathétique qui nous pousse à plaindre Frankenstein autant que sa créature. Le génie maléfique, brillant scientifique en est réduit à n'être plus qu'un petit maître d'école, dont les frustrations évoquent celles qu'a dû éprouver le Marquis de Sade lorsqu'il tentait de mettre en scène des pièces de théâtre avec les pensionnaires de Charenton.

La trame est donc ici très simple et se prête très bien au décors de l'asile, qui transforme le film d'horreur en huis-clos. Tous les personnages y sont réunis et une fois la caméra entrée dans l'enceinte de l'établissement, elle n'en sortira plus. Cette quasi absence d'extérieur rend trouble la frontière entre les médecins et les malades, et tout le monde finalement est prisonnier. La direction artistique de Scott MacGregor et la photographie de Bryan Probyn sont tout à fait splendides et les éclairages à la bougie dans les couloirs de pierre font merveille. Malgré un décor réduit à l'asile et sa cour intérieure, Frankenstein and the Monster from Hell démontre une réussite esthétique indéniable. Le gore ne peut être considéré comme un atout, mais il convient de souligner qu'il s'agit là de l'épisode le plus impressionnant de la série, si ce n'est le film le plus sanglant de la Hammer. Il n'y a rien d'insoutenable pour le spectateur aujourd'hui, mais les effets spéciaux de Les Bowie (Fahrenheit 451) sont très convaincant. On notera une scène mémorable ou le baron tient entre ses dents une artère pour que Helder puisse suturer à vue dégagée. 



Tout semble voulu pour faire de ce film une apothéose tant il est un concentré de tout ce que la Hammer a offert de mieux dans le genre auparavant. Ceci associé au traitement du personnage de Frankenstein par Fisher fait de la vision de ce film un véritable plaisir. On sent une réelle tendresse de la part de Fisher pour le personnage, comme lorsque pour la première fois il l'autorise à rire, dans une scène d'antologie : Alors qu'ils viennent de greffer des yeux à leur créature, le baron dit "lorsqu'il se réveillera nous verrons", ce à quoi Helder répond "espérons que c'est lui qui verra" déclenchant un fou rire du vieux baron peut habitué à l'humour. Il amène ici le personnage à ses limites sans pourtant consentir à mettre un véritable point final à ses expériences. Alors que sa créature a été détruite par les déments de l'asiles dans une frénésie gore, alors qu'une nouvelle expérience a raté, et malgré son âge avancé, le baron ne sait se résigner et s’attèle à la tache de nettoyer son laboratoire : la prochaine fois sera la bonne.

Mais il n'y aura pas de prochaine fois, Fisher nous laisse, avec cette fin ouverte, comprendre qu'il n'y a pas de fin à la recherche du progrès, que Frankenstein existera toujours sous une forme ou une autre. A quoi bon mettre en scène la mort d'un personnage qui s'est toujours débrouillé pour survivre jusque là. Non, on ne dupera pas le spectateur cette fois avec une mort suivie d'une résurrection, d'un éternel retour, on se quittera sur l'image d'un Victor Frankenstein toujours sur le même rail, toujours obsédé, jamais résigné, dans son monde. L'aliénation de Frankenstein, c'est son travail, sa cellule, son laboratoire. Magnifiquement mis en scène, cette brillante conclusion démontre tout le talent de Terence Fisher, et contre toute attente, il se pourrait bien que le dernier film du maître soit aussi son meilleur.

23 juil. 2012

Le Retour de Frankenstein


Réalisé par Terence Fisher en 1969.
Avec Peter Cushing, Veronica Carlson, Simon Ward, Freddie Jones, Thorley Walters, Maxine Audley...
Scénario de Bert Batt.
Musique composée par James Bernard.
***

Le baron Frankenstein loge dans une pension sous le nom de Fenner, non loin d'un asile au sein duquel est interné un de ses anciens collègues devenu fou, le Dr Brandt. Apprenant que le fiancé de sa logeuse travaille à l'asile et s'adonne au trafique de cocaïne pour payer le traitement de sa future belle-mère, il saute sur l'occasion de les faire chanter : S'ils n'acceptent pas de l'aider à sortir Brandt de l'asile et à l'opérer pour guérir son cerveau malade, il les dénonce. Avant de sombrer dans la démence, Brandt devait en effet confier à Frankenstein la technique qu'il avait mise au point pour une parfaite transplantation du cerveau.
***

Une rue embrumée, un meurtre sanglant, une fuite effrénée, une atmosphère digne de Burke et Hare, et un titre qui annonce la couleur : Frankenstein Must Be Destroyed ! L'efficacité de l'introduction, avec son montage fragmenté qui ménage une tension extraordinaire ne laisse pas de doute quand à la direction qu'empreinte Fisher, cette fois, personne n'en réchappera ! Ce n'est pour une fois ni le nom de Jimmy Sangster ni celui de John Elder (Anthony Hinds) que l'on peut apercevoir au générique pour ce qui est du scénario mais Brett Bart qui, se basant sur une histoire originale établie avec Anthony Nelson Keys, amène le baron Frankenstein aux confins de la vilenie. Il ne reste plus rien du peu d'humanité que l'on avait pu apercevoir dans Frankenstein Created Woman, rien de ces penchants métaphysiques, et rien de cette "propreté" du personnage qui ne se salie pas habituellement les mains mais paye d'autres mains pour se salir. Plus que jamais pour le baron, la fin justifie tous les moyens. Il n'est plus ce génie incompris dont on pardonne les écarts criminels parce que ses manières délicieuses nous séduisent à chaque fois, non, on ne peut plus se laisser avoir cette fois, l'homme apparaît tout à fait haïssable.




Les préoccupation du baron sont à nouveau beaucoup plus terre à terre qu'elle ne le sont dans le film de 67. Up to his old tricks again, il tente à nouveau la transplantation cérébrale et semble mener ses recherches comme une croisade contre les ignorants, semblant ignorer qu'il est devenu lui-même une sorte de fanatique... on aurait presque pitié, si la mécanique inépuisable du personnage ne l'empêchait de montrer une quelconque faille.

Peter Cushing comme toujours reprend brillamment un rôle qui s'avère poliphanique, malgré le caractère cruel du personnage, on appréciera ses habituelles remarques ironiques. On remarquera qu'ici le baron est à nouveau obligé de vivre sous une fausse identité, alors que dans le précédent film il officiait sous son vrai nom sans être plus inquiété. Comme toujours le baron se trouve un assistant, ce n'est plus un jeune médecin qui vient faire chanter le baron, mais bien le baron qui menace un jeune médecin, ici personnifié par le jeune premier Simon Ward (décédé le 20 Juillet dernier à l'âge de 70 ans, on aura pu le voir une dernière fois à l'écran dans la série The Tudors), dont l'aspect juvénile le fait passer pour un enfant à côté de Cushing ce qui accentue l'impression d'une innocence corrompue et distille une certaine ambiguïté. Une ambiguïté que James Carreras, producteur exécutif, a sans doute voulu étouffer, en insistant pour inclure une scène sans intérêt, et surtout d'un très mauvais goût dans laquelle le baron viole Anna (la très jolie Veronica Carlson déjà vue dans Dracula Has Risen from the Grave), la jeune land lady. Aussi dénué d'humanité soit Frankenstein dans cet opus, la séquence est tout à fait hors de propos et le comportement ne correspond absolument pas au personnage qui se soucie peu des plaisir de la chair. La scène fut incluse en fin de montage malgré les objections atterrées de Cushing, Carlson et Fisher.




Corrupteur, manipulateur, implacable, Frankenstein se révèle aussi être un meurtrier sans scrupules. Si on l'a vu jeter un vieux savant dans les escaliers pour se procurer un cerveau dans The Curse of Frankenstein, on pouvait comprendre qu'il s'agissait de ses recherches, mais cette fois, l'homme tue, sinon par plaisir, par colère. Rien ne doit se mettre en travers de sa route, et comme l'indique le titre, pour qu'il soit stoppé, il doit être détruit. Loin des retournements ironiques de Revenge of Frankenstein, cet opus se trouve totalement dénué d'espoir, pour le personnage comme pour ceux qu'il atteint de près ou de loin : le body count est exceptionnellement élevé. Révoltant mais tout à fait splendide dans son exécution, Frankenstein Must Be Destroyed fait partie des immanquables de la Hammer. 

On reconnaîtra la direction artistique de Bernard Robinson qui fait des merveilles avec les studios d'Elstree, magnifiés par la photographie d'Arthus Grant, ainsi que la musique de James Bernard qui semble n'exister que pour souligner qu'aucun espoir n'est permis tant elle est sinistre dans sa simplicité, belle dans sa noirceur. Tout cela sonne un peu comme un requiem, d'ailleurs Fisher va jusqu'à nous gratifier d'un final qui voit Frankenstein et sa "créature" (le cerveau du Dr Brandt dans un autre corps) finir dans un incendie (Fisher avait jusque là privilégié des fins plus sobres). Sur les flammes qui déchirent un ciel d'encre se déroule le générique qui clos ce jeu de massacre. Mais on aurait tort de croire à la mort du personnage, on retrouvera Frankenstein, amoindri mais toujours déterminé pour un chant du cygne prodigieux cinq ans plus tard.


Frankenstein Créa la Femme


Réalisé par Terence Fisher en 1967
Avec Peter Cushing, Susan Denberg, Thorley Walters, Robert Morris...
Scénario de John Elder.
Musique composée par James Bernard.
***

Poursuivant ses travaux, le baron Frankenstein pense à présent pouvoir transcender les question physiques pour atteindre directement l'âme de ses sujets. L'opportunité lui est offerte de vérifier la pérennité de l'âme humaine lorsqu'un jeune homme accusé à tort de meurtre est guillotiné, et que sa jeune amie se suicide par noyade. Il va alors transférer l'âme de l'innocent dans le corps de sa bien aimée...
***

Après Dracula Prince des Ténèbres en 1966, Terence Fisher abandonne la saga Dracula qui suivra une route convenue et monotone entre les mains de quatre réalisateurs différents, mais il n'a heureusement pas délaissé de la même façon la saga Frankenstein qui semble lui tenir beaucoup plus à coeur. Après l'opus sans relief de Freddie Francis, Fisher reprend les rennes pour achever en 1967 ce qui demeure l'un des meilleurs accueils critiques de la Hammer. Frankenstein créa la Femme (un titre qui parodie malicieusement celui du film de Roger Vadim, Et Dieu créa la Femme, avec Brigitte Bardot) fut en effet loué pour son aspect conte de fée adulte et sa réflexion poussée bien au delà de l'habituel schéma créateur/créature.

Le script d'Anthony Hinds se révèle beaucoup plus inspiré que son précédent effort, et cette nouvelle expérience de Frankenstein ne s'intéresse plus seulement à la mécanique du corps, mais prend une tournure beaucoup plus métaphysique avec les questionnement du baron sur la possibilité d'isoler l'âme humaine hors du corps (un postulat que Martin Scorcese qualifiera de "proche du sublime"). C'est un Frankenstein assagi que nous retrouvons, certes débarrassé des affectes trop présents de celui du film de 64, mais beaucoup plus tourné vers les questions spirituelles. On pourra s'étonner de le voir travailler pour réparer en quelque sorte une injustice ou disserter sur des questions plus ésotériques que scientifiques. Toujours tout de paradoxes, Frankenstein admet l'existence de l'âme, sans de défaire de son incrédulité, mais en admettant que s'il existait un diplôme de sorcellerie, il l'aurait certainement obtenu (Van Helsing, docteur en médecine, psychologie, philosophie et théologie semble avoir déteint sur l'autre rôle majeur de Cushing).

S'ouvrant sur l'image de la guillotine, réminiscente des premiers épisodes, Frankenstein Created Woman scande le style reconnaissable de Fisher avec son entrée en matière brutale et exceptionnellement crue. Cette guillotine est destinée à accueillir le père du tout jeune Hans qui assistera, traumatisé, à l'exécution. Plusieurs années plus tard, Hans partage son temps entre son travail à la taverne et le laboratoire du baron Frankenstein qu'il assiste avec le Dr Hertz (Thorley Walters). Nous découvrons alors le baron, couché dans une sorte de sarcophage de métal, apparemment mort, avant d'être réanimé par Hertz. Nous comprenons que Frankenstein s'est prête volontairement à une expérience : techniquement mort pendant une heure, il est revenu à la vie, inchangé et fait par là la preuve que l'âme ne s'échappe pas dans un soupir vers l'au delà mais demeure à l'intérieur du corps. 

Le script torturé de Hinds va suivre une trame qui opère d'incessants aller et retour. Nous présentant la relation de Hans et Christina, soit celle d'un fils de meurtrier et d'une jeune fille défigurée, il pose des bases qui annoncent la tragédie avant même que le premier élément déclencheur ne vienne bouleverser la situation. Passé une longue mise en place comme seul Fisher sait les orchestrer, le plus minutieusement du monde, une suite d'évènement va mener le couple à la mort. Christina est molestée dans la taverne par trois jeunes aristocrates, Hans jure de les tuer et c'est tout ce que retient l'assemblée. A la nuit tombée les trois voyous s'en viennent voler du vin dans la cave de la taverne, surpris par un homme, ils le battent à mort avant de s'enfuir. Le meurtre est attribué à Hans qui est condamné à mort, de chagrin, Christina se jette dans un torrent.

Le Dr Hertz fait jouer une relation peu glorieuse pour fournir à Frankenstein le corps du jeune Hans pour que le baron puisse en extraire l'âme qui restera en attente d'un corps viable, corps qui ne tardera pas à arriver puisque l'on repêche la pauvre Christina. Avec l'aide de Hertz, Frankenstein parvient à transférer l'âme de Hans dans le corps de sa bien aimée, en réparant au passage le visage de la jeune femme qui se révèle être une créature de rêve. Mais personne ne semble se rendre compte de la perversité de la situation : les deux amants bafoués se retrouvent dans le même corps et des deux personnalités, celle de Hans, avide de vengeance ne tarde pas à influencer celle de sa douce amie.



Christina va donc accomplir la vengeance qu'ils recherchent tous les deux. A présent paré des attributs les plus séduisants, elle n'est plus la jeune fille qui voulait fuir la vie, et forte d'une seconde personnalité elle est prête à affronter ceux qui se sont dérobés à la justice pour laisser Hans être accusé à leur place. Frankenstein Created Woman est donc l'histoire d'une renaissance plus que d'une création. La crise identitaire de la créature résulte ici d'une forme poétique de schizophrénie et non plus d'une frustration ou d'une colère, en effet l'apparence de Christina n'inspire pas la terreur, mais le désir. Son air innocent inspire aussi la sympathie de Hertz, qui pallie à la froideur de Frankenstein en se montrant beaucoup plus attentionné vis à vis de la jeune femme, que le baron toujours occupé. La vengeance de la créature ne se dirige pas vers le créateur qui n'a finalement offert que le moyen aux amants de rendre justice, avant de disparaître à nouveau : dans un élan de lucidité, Christina se jette à nouveau et définitivement dans le torrent, emportant Hans avec elle.

S'il ne présente pas l'aspect flamboyant des productions Hammer de 57 à 64 (une absence propre au films des années 65-67), il arbore une mise en scène millimétrée et des idées formidables. Lorsque Christina s'exprime avec la voix de Hans, l'effet est saisissant et les éclairages baroques qui prennent le pas sur la lumière naturelle lorsque Hans prend les commandes donnent au film un caractère onirique. L'humour de Fisher est aussi très présent, Thorley Walters, par exemple, qui n'a pas le physique de jeune premier de Francis Matthews fait passer l'assistant de Frankenstein pour une sorte de Dr Watson à la Nigel Bruce, en étant tout de même beaucoup plus subtil et même touchant, qui sait se montrer persuasif quand il s'agit d'obtenir un cadavre par le chantage.

Ce nouvel opus ne semble pas être pensé comme la continuité de la saga, Fisher préfère sans doute le voir comme un stand alone, pour éviter que son impact soit minimisé par un côté feuilletonesque. Laissant de côté cette expérience métaphysique et celle pataude du film de 64, il retrouvera l'année suivant Frankenstein dans un contexte londonien pour enfin donner une suite véritable à Revenge of Frankenstein avec Frankenstein must be Destroyed, une autre superbe pierre à l'édifice. Mis en scène pendant une période charnière (la Hammer quitte cette année là les studios de Bray pour ceux d'Elstree, et ce sera l'un des derniers films tourné à Bray), Frankenstein Created Woman est un superbe exemple de la tragédie fisherienne. 

19 juil. 2012

L'Empreinte de Frankenstein


Réalisé par Freddie Francis en 1964.
Avec Peter Cushing, Sandor Eles, Peter Woodthorpe, Katy Wild, Kiwi Kingston...
Scénario de John Elder.
Musique composée par Don Banks.
***

De retour en Suisse avec son assistant Hans, le baron Frankenstein espère trouver le calme suffisant pour continuer ses expérience, dans son château laissé à l'abandon... 
***

Il y a d'emblée quelque chose d'incroyablement frustrant à voir que ce film de Freddie Francis ne tient pas compte de l'évolution qu'à imprimé Fisher au personnage principal, et qu'il balaye dès l'introduction le chemin parcouru jusqu'à Londres. Francis ne semble pas du tout à l'aise avec les monstres classiques que sont Dracula et Frankenstein, et les scenarii d'Anthony Hinds ne sont pas pour l'aider. Ni Evil of Frankenstein, ni Dracula has risen from the grave ne seront à la hauteur d'autres films bien plus intéressants de Francis comme Nightmare, Paranoiac (avec Oliver Reed) ou The Creeping Flesh (réalisé pour la Amicus, avec Cushing et Lee).

Nous avions laissé Frankenstein sous l'identité du Dr Franck à Londres, là où Fisher l'avait malicieusement amené, après l'avoir ressucité, Anthony Hinds (Elder) et Freddie Francis vont le ramener dans ses contrées natales sous le prétexte qu'un prêtre anglais à détruit son laboratoire sur place. A cette occasion nous découvrons un baron complètement désenchanté, qui s'insurge contre les ignorants qui hurlent qu'élargir les connaissances c'est réduire le territoire de Dieu, et soupire "they always destroy everything" ou "why can't they ever leave me alone", comme s'il était le bouc émissaire de tous les savants fous dont l'oeuvre fut détruite tout au long de l'histoire du cinéma.

Le Frankenstein de Francis n'est pas l'être contenu et mesuré de Fisher, il s'emporte, comme lorsque dans une auberge il voit sa bague au doigt du bourgmestre et s'apprête à faire scandale, un comportement qui ne correspond pas du tout au personnage. Cushing fait montre dans son jeu de beaucoup plus d'affectes ce qui minimise l'aura de son personnage dont les élans colériques ou compassionnels sont assez inattendus et finalement peu conséquents.

Mais la déception ne réside pas seulement dans cette approche du personnage. Un partenariat avec Universal autorise la Hammer à créer un maquillage proche de celui de Jack Pierce pour Boris Karloff dans le film de 1931. Ce que l'on peut dire de la création de Roy Ashton, c'est qu'elle n'est pas des plus réussies, et Kiwi Kingston (qui n'est pas acteur en réalité mais lutteur) a bien du mal à composer avec le visage tartiné de ciment. Elle est bien malheureuse cette volonté de faire ressembler le monstre à celui des films Universal, car elle oblige Hinds à réécrire sa genèse en annulant les évènements de The Curse of Frankenstein via un simple flashback ou Frankenstein raconte à Hans (Francis Matthews laisse sa place à Sandor Eles) le désastre de sa première expérience. Ainsi Frankenstein raconte-t-il que sa créature s'est enfuit et que poursuivie par la police elle est tombée dans un ravin. Ravin au fond duquel il va la retrouver, conservée dans la glace...



Un baron ramolli, des bases ignorées, un créature ratée puis congelée... Evil of Frankenstein pourrait-il pousser le vice jusqu'à réanimer la créature pour qu'elle aille faire un petit tour au village ? Oui. Est-ce qu'il fait ça bien ? Non. On peut s'interroger sur la raison qui pousse le baron que l'on sait capable d'une transplantation cérébrale parfaite, à reprendre le brouillon qui lui a valu l'opprobre, si ce n'est peut-être un élan paternaliste ou une étrange nostalgie. Revenue à la vie la créature est inerte, Frankenstein s'en ouvre alors à Zoltan un célèbre hypnotiseur, pour faire revenir dans les yeux de l'homoncule une étincelle de vie. Mais comme toujours les petites mains ne sont pas dignes de confiance et Zoltan voit en la créature, qui est désormais en son pouvoir, un moyen de se débarrasser des gêneurs... Mais inutile de s'attarder sur cette vaudevillesque mascarade. Dans un final explosif, la créature dans une rage éthylique va ravager le château qui s’effondre sur elle et le baron. Le dernier mot revient au sentencieux Hans Kleve : "They beat him after all".

On ne retrouvera rien de ce qui faisait la grandeur des précédents films dans celui-ci, qui malgré tout offre un bon divertissement. L'Empreinte de Frankenstein (un titre qui évoque peut-être la marque durable qu'à imprimé Karloff à l'imagerie du personnage) est une entrée passablement inutile dans la saga, un hors série dispensable malgré une interprétation juste de Peter Cushing. Le film de Freddie Francis demeure un beau livre d'image, mis en scène non sans un certain panache, mais plombé par un scénario rocambolesque, un maquillage ridicule et un traitement trop superficiel d'un baron Frankenstein désabusé, qui aurait pu être l'aspect le plus intéressant de ce film qui n'est au final qu'une coquille vide.

12 juil. 2012

La Revanche de Frankenstein


Réalisé par Terence Fisher en 1958.
Avec Peter Cushing, Francis Matthews, Eunice Gayson, Michael Gwynn...
Scénario de Jimmy Sangster.
Musique composée par Leonard Salzedo.
***

En soudoyant un gardien infirme, le baron Frankenstein a échappé à la guillotine à laquelle il était promis. Installé en Allemagne sous le nom de Stein, il exerce en tant que médecin auprès des plus pauvres, une couverture, qui lui permet d'obtenir facilement des corps frais pour poursuivre ses expériences...
***

Terence Fisher orchestre cette revanche de Frankenstein, toujours basée sur un scénario de Jimmy Sangster, avec ce qui ressemble à un réel plaisir. On retrouve Peter Cushing dans le rôle titre, la photographie splendide de Jack Asher, les décors de Bernard Robinson... de quoi ravir le public de la Hammer, tout est là, et plus encore !

Opérant sous un pseudonyme, Victor Frankenstein est reconnu par un jeune médecin avide de savoir qui lui propose son assistance contre son silence. Le jeune Hans Kleve (Francis Matthews : Dracula Prince of Darkness, Rasputin the Mad Monk) va donc être impliqué dans les recherches du baron qui a découvert le moyen de transplanter un cerveau humain d'un corps à un autre, une expérience qui servira en même temps au baron à payer sa dette envers le gardien qui l'a aidé à s'échapper. Karl, ledit gardien est en effet handicapé et Frankenstein peut lui offrir un corps en parfait état.

Bien plus que l'ambitieux et froid savant fou qu'il était dans The Curse of Frankenstein, le baron est un être tout à fait paradoxal. On pourra s'étonner de le voir ouvrer au service des pauvres de Carlsbruck, ou de la  pédagogie et de l'attention dont il fait preuve à l'égard de Kleve qui était au départ son maître chanteur avant de devenir son élève dévoué. Même si l'on apprendra au final que toutes ses actions sont calculées pour servir un plan parfait, il semble que nous soit donné à voir l'humanité d'un personnage complexe qui en plus d'être un spécialiste de la mécanique humaine est aussi fin psychologue. Il est difficile de détester ce Frankenstein même s'il n'est pas du tout le personnage repentant de Mary Shelley, tant il fait preuve de manières et d'une conversation délicieuse, au ton joliment ironique, même si l'on peut s'interroger sur sa perception de l'humour : Frankenstein/Cushing ne rit pas souvent.

Avec l'aide de Kleve, Frankenstein parvient donc à transplanter le cerveau de Karl dans un nouveau corps, conçu par le baron lui-même, et même si le résultat est des plus encourageant, les conséquences seront, comme il faut s'y attendre, désastreuses. Le pauvre Karl refuse de demeurer un sujet de curiosité et s'enfuit grâce à sa nouvelle enveloppe, mais la transplantation entraîne chez lui des comportements inquiétants et la piste laissé par ses actes criminels ne tarde pas à mener au baron. Karl est une créature elle aussi plus complexe que celle qu'incarnait Christopher Lee. Cette fois doté de parole, le "monstre" à l'aspect en tout point humain est incarné par Michael Gwynn (acteur que l'on reverra dans Les Cicatrices de Dracula), qui est tout à fait extraordinaire dans sa composition pathétique.


Lorsque l'on pense à la Hammer, l'idée d'une violence graphique n'est pas celle qui vient à l'esprit en premier, pourtant, Revenge of Frankenstein se montre assez généreux sur ce plan, et si le film offre assez peu d'action pour se concentrer sur un aspect plus psychologique, il sait y allier son lot de scènes sanguinolentes très réussies. Impressionnant sur ce plan mais aussi sur celui de la mise en scène, le film est ciselé par un réalisateur touché par la grâce. 

Le final, sommet d'ironie, voit la baron Frankenstein devenir le sujet de ses propres expériences : tué par ses patients qui ont découvert son identité, le baron laisse un cerveau en bon état et un corps de son invention destiné à l'accueillir au cas où une telle chose se produirait. C'est Kleve, l'élève qui a reçu l'apprentissage adéquat, qui finit par dépasser le maître en réussissant une opération parfaite et sans conséquences fâcheuses. Les deux hommes fuient pour Londres, ou le baron devenu l'une de ses créatures, pourra de nouveau exercer sous le nom de Dr Franck.

Esthétiquement magnifique, les décors du film sont aisément reconnaissables, comme le laboratoire du baron, dont il dit lui-même qu'il s'agissait auparavant d'une cave à vin... à vin rouge semble-t-il puisqu'elle servit de caveau au comte Dracula dans le précédent film de Fisher, Le Cauchemar de Dracula. The Revenge of Frankenstein voit le jour au cours d'une période bénie où Fisher enchaîne les tournages pour établir une oeuvre imposante et riche. Il est indéniablement l'un des meilleurs chapitres de la Comédie Humaine selon Fisher.

9 juil. 2012

Frankenstein s'est échappé !



Réalisé par Terence Fisher en 1957.
Avec Peter Cushing, Christopher Lee, Hazel Court, Robert Urquhart, Valerie Gaunt, Melvyn Hayes...
Scénario de Jimmy Sangster.
Musique composée par James Bernard.
***

Dans une cellule de prison, le baron Frankenstein attend son exécution, pour quel crime ? Avoir poursuivit un rêve insensé qui l'a conduit à devenir un meurtrier froid et calculateur : créer un être parfait et lui insuffler la vie.
***

1957 fut un grand cru pour le cinéma fantastique car avec The Curse of Frankenstein, la Hammer entamait un cycle gothique qui se poursuivrait jusqu'en 1974, lançant une série d'adaptation des classiques de la littérature fantastique. Produit par Anthony Hinds et Michael Carreras, le film pose les base de ce que sera désormais le style de la Hammer. Ce style est principalement celui de Terence Fisher, réalisateur phare de la firme, qui met en scène les scenarii de Jimmy Sangster (Le Cauchemar de Dracula, La Revanche de Frankenstein, La Malédiction des Pharaons, Les Maîtresses de Dracula...). Cette adaptation de Frankenstein est aussi le théâtre de la formation d'un duo qui restera emblématique : Peter Cushing (le baron) et Christopher Lee (la créature). Mal reçu par la critique de l'époque, The Curse of Frankenstein fut un énorme succès publique qui encouragea la Hammer et Fisher à poursuivre leur oeuvre. Il est unanimement reconnu aujourd'hui comme un chef-d'oeuvre.


Pour cause, malgré d'énorme libertés prises par Jimmy Sangster vis à vis du roman de Mary Shelley, il s'agit bien là de l'une des transpositions les plus saisissantes du récit au cinéma; Au delà des nombreuses qualités propres aux films gothiques de la Hammer qui font pour la première fois leurs preuves à l'écran (les splendides décors du studio de Bray aménagés par Bernard Robinson, entre autres), le film bénéficie du talent visionnaire d'un réalisateur qui ne veut pas se borner à raconter un simple conte d'horreur. Comme toujours chez Fisher, la construction des personnages nécessite une mise en train qui si elle est un peu longue demeure passionnante, ainsi l'introduction durant laquelle nous est présenté le jeune baron Frankenstein (Melvyn Hayes) permet au spectateur de voir et de comprendre l'évolution du personnage, de ce jeune homme radieux laissé orphelin à la tête d'une fortune jusqu'à l'homme hagard que l'on découvre en prison.

Conscients que le personnage du baron recèle un potentiel inexploité jusque là, Fisher et Sangster vont le mettre en avant bien plus que la créature (Dans la série de films produite par Universal, c'était la créature qui devenait le personnage central, alors que la Hammer va centrer la saga sur le baron, qui poursuit encore et toujours ses expériences). Peter Cushing, futur Van Helsing et Sherlock Holmes, est l'incarnation parfaite du scientifique obnubilé par ses recherches, l'acteur offre une performance extraordinaire dans cette composition qu'il reprendra cinq fois. Difficile d'imaginer Christopher Lee sous l'impressionnant maquillage de Phil leakey et Roy Ashton (qui n'est ici qu'assistant, mais qui recouvrira Lee de bandelettes pour La Malédiction des Pharaons) ! La créature incarnée par Lee est très éloignée de celle qu'interprétait Boris Karloff, il est en effet presque impossible de ressentir de la sympathie pour cette être défiguré et aussi incapable de faire montre d'émotions que son créateur.


Le casting féminin est assuré par deux Hammer girls : Hazel Court (que l'on retrouvera aux côtés de Lee et Anton Diffring dans The Man who could Cheat Death de Fisher en 1960 et dans Le Masque de la Mort Rouge de Roger Corman avec Vincent Price en 1965) est une bien malheureuse Elizabeth qui épouse son cousin sans savoir qu'il lui préfère une domestique, et Valérie Gaunt, ladite domestique qui connaîtra un destin funeste. Robert Urquhart complête cette excellente distribution dans le rôle de Paul Krempe, une sorte d'Henry Clerval qui est ici le mentor de Victor, mais qui ne pourra cautionner les activités de son ancien élève.

De magnifiques décors, une distribution extraordinaires, une variation dramatique à l’extrême sur le roman de Mary Shelley, The Curse of Frankenstein est tout cela à la fois, mais il est surtout le point de départ d'une extraordinaire aventure cinématographique pour la Hammer, une exploration des rivages gothiques conduite part l'aventurier Terence Fisher et ses acolytes Peter Cushing et Christopher Lee.

6 juil. 2012

Dracula vit toujours à Londres



Réalisé par Alan Gibson en 1973.
Avec Christopher Lee, Peter Cushing, Joanna Lumley, Michael Coles...
Scénario de Don Houghton.
Musique composée par John Cacavas.
***

"Rest in final peace" (repose enfin en paix) étaient les mots qui venaient conclure solennellement Dracula AD.72, et pourtant... Dracula vit toujours à Londres, et c'est à Lorrimer Van Helsing et sa petite fille Jessica qu'il incombe une nouvelle fois de déjouer ses plans.
***

Étrange film que ce Dracula vit toujours à Londres, suite directe de Dracula AD.72 et qui ressemble plus à un pilote de feuilleton d'espionnage. L'église St. Bartolph qui avait été le théâtre de l'entrée du comte Dracula dans le XXème siècle a laissé place à un immense complexe de bureaux, et le prince des ténèbres s'est retrouvé à la tête d'une multinationale du crime. Dracula Moriarty projette donc de détruire le monde, mais heureusement, Sherlock Van Helsing et Jessica Watson veillent ! Christopher Lee et Peter Cushing s'affrontent pour la troisième fois, Michael Coles reprend le rôle de l'inspecteur Murray qu'il tenait dans le film précédent, et Joanna Lumley (Purdey dans Chapeau melon et bottes de cuir) remplace Stephanie Beacham dans le rôle de Jessica Van Helsing. Au scénario on retrouve Don Houghton et plus que jamais l'influence de Dr Who se fait ressentir, et derrière la caméra, Alan Gibson reprend les commandes pour mettre un point final aux agissements de Dracula/lee.



Même si le film s'inscrit dans la continuité du précédent en en reprenant la majorité des protagonistes (une première dans la série), il ne reprend pas l'aspect kitsh de son prédécesseur. Gibson opte pour une approche plus clinique. Exit les jeunes hippies et les bar branchés et les églises désaffectées, on se retrouve ici dans les bureaux de New Scotland Yard, ou dans le QG des disciples de Dracula, dans lesquels les "nouvelles technologies" (tout est relatif) sont à l'honneur. Nos héros devront affronter des femmes vampires dans une crypte, une secte à la solde de l'énigmatique madame Chin Yang, et des scientifiques ayant pour mission de lâcher la peste noire sur le monde !

Le postulat de Dracula vit toujours à Londres, même s'il semble assez peu vraisemblable (mais, on parle de vampires à la base, alors laissons de côté toute idée de vraisemblance) a le mérite d'être original. Christopher Lee incarne une menace bureaucratique spectrale tout droit sortie d'un James Bond, et face à lui, Peter Cushing ne semble avoir rien perdu de sa vitalité (l'acteur pourtant n'a jamais eu l'air aussi émacié) et de sa détermination : le face à face final, même s'il n'est pas aussi impressionnant que ce que l'on pouvait espérer demeure un morceau de bravoure assez appréciable. L'idée d'un professeur Van Helsing qui protège Londres des vampires épaulé par sa petite fille et meilleure assistante est en elle-même très plaisante et aurait pu donner une excellente série avec Don Houghton au scénario.



S'éloignant radicalement des sentiers battus jusque là, Dracula vit toujours à Londres est un film vraiment plaisant qui assume son côté frénétique (appuyé par la musique de John Cacavas dans un style très Avengers). 15 ans après leur premier affrontement, il fait bon retrouver Lee et Cushing dans les rôles qui les ont rendu célèbres. Certes, il ne reste plus grand chose du personnage créé par Bram Stoker, mais l'image finale de cette figure du mal ultime magistralement incarnée par Christopher Lee, crucifiée dans un buisson d'aubépine, clôt de façon suffisamment marquante la saga Dracula de la Hammer.

4 juil. 2012

Dracula AD.72



Réalisé par Alan Gibson en 1972.
Avec Christopher Lee, Peter Cushing, Stephanie Beacham, Christopher Neame, Michael Coles, Caroline Munroe...
Scénario de Don Houghton.
Musique composée par Mike Vickers.
***

Londres, 1872, Van Helsing a enfin terrassé Dracula, en plein Hyde Park. Alors que le vampire se décompose un pieu planté dans la poitrine, le chasseur de vampire s'écroule, vaincu par l'épuisement. Un jeune homme s'approche et ramasse les cendres du comte, pour les inhumer près de la tombe de sa némésis. Dracula et Van Helsing reposent depuis côté à côte.
1972. Johnny Alucard persuade ses amis de jouer à un petit jeu qui se révèle être une messe noire ayant pour but de ressusciter Dracula, parmi eux se trouve Jessica Van Helsing, petite fille du dernier chasseur de vampires.
***

En 1972, la Hammer décide de faire prendre à sa série Dracula une nouvelle direction. Oubliés les châteaux gothiques, le vampire évoluera désormais dans le Londres contemporain. Pour l'occasion la firme confie l'écriture du scénario à Don Houghton, qui compte parmi les nombreux scénaristes de la série Docteur Who. Délaissant totalement la chronologie établie par Jimmy Sangster et Anthony Hinds (John Elder) au cours des films précédents, Houghton se charge de réinventer le prologue de ce qui sera le premier film d'un dyptique. La meilleure surprise de ce sixième film est sans aucun doute le retour de Peter Cushing, dans le rôle du descendant de Van Helsing, c'est en effet la première fois depuis le film de 58 que Dracula/Lee se trouve confronté à Van Helsing/Cushing. Pour ce qui est du reste, Dracula AD.72 va plus ou moins reprendre la trame d'Une messe pour Dracula.



Dracula est donc ramené à la vie au cours d'une messe noire orchestrée par Johnny Alucard (Christopher Neame qui aurait pu être séduisant si son jeu n'était pas si outrancier), sur fond de musique expérimentale. Une fois sur pied, le vampire n'a qu'une idée en tête, anéantir les dernier Van Helsing. Inutile de préciser qu'il n'y parviendra pas. Christopher Lee se montre très professionnel, peut-être pas enchanté, mais on sent qu'il éprouve beaucoup de plaisir à retrouver son grand ami Peter Cushing.

Esthétiquement, le film d'Alan Gibson se montre assez convaincant lorsqu'il s'agit de l'introduction, ou des scènes dans l'église désaffectée. La Caverne, un bar "branché" dans lequel se retrouvent les amis de Jessica arbore un décorum intéressant mais l'endroit est sous-exploité. La vision de la jeunesse du Swinging London est assez simpliste et on ne fera aucun commentaire sur l'aspect vestimentaire. La musique de Mike Vickers, plutôt groovy, rompt radicalement avec les mélodies de James Bernard. Il semble que le film y perde l'attrait que suscitent ses aînés. Mais malgré cela et un récit tout à fait prévisible, Dracula AD.72, distribué sous le titre Dracula 73 en France, n'est pas un spectacle ennuyeux.



Le tandem Lee/Cushing fonctionne à merveille et Jessica Van Helsing (Stephanie Beacham) profile une héroïne intéressante. Il n'y a rien véritablement ici que les amateurs de la Hammer pourraient détester. Le film est pourtant souvent décrit comme l'opus le plus faible de la saga, certainement parce qu'il se montre assez peu inventif et se contente de transposer une trame déjà vue dans un contexte contemporain. Aujourd'hui, le côté rétro de Dracula AD.72 lui donne un certain cachet, et la qualité de ses interprétation en fait un divertissement de grande qualité. Cette variation très seventies ouvre la voie au dernier film de la série qui aura le mérite de se montrer plus audacieux, même s'il le fera au dépend de toute vraisemblance.


3 juil. 2012

Les Cicatrices de Dracula



Réalisé par Roy Ward Baker en 1970
avec Christopher Lee, Jenny Hanley, Denis Waterman, Christopher Matthews, Michael Gwynn, Michael Ripper, Patrick Troughton...
scénario de John Elder.
Musique composée par James Bernard.
***

Accusé d'avoir voulu abuser de la fille du bourgmestre de Kleinenberg, Paul, un jeune coureur de jupons saute dans un fiacre pour échapper à la milice qui le poursuit. L'attelage s'emballe et le jeune homme se retrouve perdu dans les Carpates. Inquiets, son frère Simon accompagné de sa fiancée Sarah, partent à sa recherche et découvrent que sa fuite l'a mené au château de Dracula.
***

Les Cicatrices de Dracula est l'oeuvre du grand Roy Ward Baker à qui l'on doit deux autres et excellents Hammer films, The Vampire Lovers, une adaptation de Carmilla de Lefanu avec Ingrid Pitt et Dr Jekyll & Sister Hyde, d'après Stevenson, avec Ralph Bates et Martine Beswick. Dracula sonne comme un passage obligé pour les réalisateurs les plus intéressants de la Hammer, un an auparavant c'était le prometteur Peter Sasdy qui s'était prêté à l'expérience avec Une Messe pour Dracula, un essai concluant! Le film de Sasdy ressemblait fort à une conclusion définitive à l'une des principales saga hammeriennes, mais la firme met en chantier à peine un an plus tard ce Scars of Dracula qui ne s'inscrit aucunement dans la continuité des films précédents. A peine le film peut-il être considéré comme une suite directe du Cauchemar de Dracula, le premier de la série réalisé en 1958 par le maître Fisher. 

L'idée de base était plus celle d'un remake que d'une suite, un reboot en quelque sorte, mais la productrice Aida Young préfère que Baker incluse en introduction une scène de résurrection, pour ne pas déstabiliser le public avec un Dracula en grande forme alors qu'on la vu réduit en poussière à la fin du film précédent. La résurrection du comte Dracula est donc amené comme si de rien était, sans qu'Anthony Hinds (encore une fois crédité sous le pseudonyme de John Elder) ne se fatigue à donner une explication quand au fait que les cendres de Dracula ont à nouveau réintégré son château et ne se trouvent plus dans la chapelle anglaise où on les avait laissé, et sans même donner une raison valable à cette résurrection : c'est une chauve-souris qui vient verser son sang au dessus des cendres du vampire pour que celui-ci reprenne vie... Un peu de sang frais sur de la poudre et Dracula renaît, la Hammer a inventé le vampire lyophilisé !



Partant d'une idée simpliste, celle d'un jeune homme égaré qui frappe à la porte du château de Dracula, le film de Roy Ward Baker offre une belle synthèse du cycle hammerien en recyclant de nombreux éléments des films précédents : Tania est une servante de Dracula et demande à Paul de la délivrer, comme la femme mystérieuse le demandait à Jonathan dans Le Cauchemar de Dracula, Klove, le serviteur du vampire est ici encore plus étrange qu'il ne l'était dans Dracula Prince des Ténèbres, l'église souillée par les agissements du vampire comme dans Dracula et les Femmes... Anthony Hinds y inclue aussi des éléments du roman de Stoker délaissés dans les autres films comme l'image de Dracula rampant sur les murs de son château, ou le portrait de Sarah, aperçu ici non par Dracula, mais par Klove qui conçoit une véritable fascination pour la jeune femme et refuse que son maître lui fasse du mal.

Les Cicatrices de Dracula rétablit aussi quelque chose qui tiendrait du folklore des films Universal, lorsqu'il déchaîne ses villageois qui, suite à la découverte du cadavre d'une jeune fille portant les marques du vampire, s'en vont incendier le château après avoir mis leurs femmes à l'abri dans l'église. A leur retour il découvrent la terrible vengeance du vampire qui a envoyé ses chauve-souris tuer les femmes et profaner le lieu sacré. La violence graphique atteint un niveau assez inédit pour la Hammer dans ce film, en effet, si les chauve-souris sont responsables de nombreux maux, Dracula lui-même se montre beaucoup plus féroce et parfois assez gratuitement, comme lorsqu'il poignarde violemment Tania après que celle-ci ait tenté de séduire Paul, ou lorsqu'il torture Klove qui lui a désobéi avec un sabre chauffé au rouge. On peut y voir une manière de coller un peu plus à l'air du temps, l'épouvante gothique ayant de moins en moins de succès à l'heure ou La Nuit des morts-vivants ou Rosemary's baby sont déjà devenu des classiques.

Christopher Lee semble assez fatigué du rôle qu'il endosse une nouvelle fois, juste après Une Messe pour Dracula et Les Nuits de Dracula de Jess Franco (l'année 1970 verra les 3 films sortir sur les écrans pratiquement coup sur coup, Scars of Dracula, sorti en novembre, sera le dernier de l'année), mais il retrouve des répliques plus intéressantes que précédemment, puisqu'il est à nouveau dépeint comme l'hôte inquiétant décrit dans les pages du journal de Jonathan Harker. La plupart des acteurs sont excellents, notamment Michael Gwynn qui joue un prêtre remplaçant Van Helsing, et Michael Ripper, éternel second rôle que l'ont retrouve en tavernier peu hospitalier. Puisque nous avons évoqué une forme de recyclage, il convient d'en évoquer une autre, la réutilisation des décors, puisqu'on en reconnaîtra quelques uns et notamment la cour intérieure du château qui est celle de Lust for a Vampire, l'entrée la plus faible dans la série Carmilla, réalisé par Jimmy Sangster la même année.



En bref, Les Cicatrices de Dracula revient aux sources du mythe, et fonctionne très bien comme un hors-série (beaucoup mieux en tout cas que comme une suite), tout en faisant figure de synthèse d'une certaine mythologie hammerienne. Les carences budgétaires s'y ressentent plus que jamais, mais comme toujours l'oeuvre est de belle facture, et les décors gothiques imposant ainsi que la musique de James Bernard participent à une certaine magie de l'ensemble. Le principal bémol sera pour la fin, Dracula disparaît comme il est apparu : par hasard !