26 août 2008

Ludwig (1972)

Un film de Luchino Visconti


Avec : Helmut Berger, Romy Schneider, Silvana Mangano, Trevor Howard, John Moulder Brown...

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'Ludwig ou le crépuscule des dieux' est une brillate évocation du reigne de Louis II de Bavière, depuis son courronnement en 1864 jusqu'à sa mort énigmatique en 1886.


Louis II reste de nos jour un personnage fascinant, sa passion bien connue pour l'oeuvre de Wagner, son amour pour sa cousine Elizabeth d'Autriche (Sissi), ses projets de châteaux de contes de fées, ses aventures avec (?) des valets, des acteurs, font de lui un personnage très anachronique dans le décors de la fin du XIXème siècle, un roi bien en avance sur son temps.

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Luchino Visconti n'est plus à présenter, réalisateur entre autre du superbe "Il Gattopardo" (Le Guépard, d'après lampedusa avec Burt Lancaster, Alain delon et Claudia Cardinal), ou de Mort à Venise (adapté du joli roman de Thomas Mann), il s'attaque ici à un projet d'une ampleur démesurée, en gros : la vie de Louis II de bavière en 4H.





Armé de son talent légendaire, d'un budget écrasant, d'une distribution de choix, d'une partition musicale composée d'oeuvres classiques envoutantes, et d'une base des plus passionantes, Visconti nous livre donc un film sobrement titré Ludwig ou le crépuscule des dieux (ironie). Force est de constater que le parie est réussit et dès les premières images (le courronnement de Ludwig) le film nous emporte dans son souffle impérial ; ma foi, ces 3H54 vont passer en un éclair.



Helmut Berger prète la finesse de ses traits au roi fou dans une interprétation mémorable : Il joue un personnage sensible à l'excès, lunatique avec une telle facilité que c'en est déroutant ; mais aussi un roi qui porte une regard très clairvoyant sur son temps et sur la famille royale, on pourra retenir une citation extraordinaire du film : "Nous faisons tout en famille ; les enfants, les guerres : nous sommes incestueux et fratricides !". Sur ce point on ne peut donner tort à ce cher Ludwig (Les mariages entre cousins et cousines ayant donné lieu à une forte propention aux maladies mentales).

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Romy Schneider ré-endosse le lourd rôle d'Elizabeth d'Autriche. Lourd, parce que l'actrice s'est déjà illustrée dans une série de film mettant en scène "l'impératrice rebelle", et qu'il est donc très difficile pour le spectateur de l'époque de discocier le personnage frivole qu'était Sissi de celui, grave et ambigüe de l'impératrice d'Autriche. Le choix de Romy Schneider dans ce rôle, même s'il semble aller de soi est assez hardi, et Visconti pousse l'audace jusqu'à décrire Elizabeth comme un personnage implicitement pervers mais aussi très sage ("les monarques comme nous ne font pas l'histoire, on les oublie vite, à moins qu'on ne les rende célèbres en les tuant"), loin, très très loin de Sissi.

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Silvana Mangano, superbe actrice cataloguée comme fleuron du cinéma intellectuel, impose sa prestance dans le rôle de Cosima Von Bülow, maîtresse de wagner et arriviste notoire. Un rôle tout en nuance dont la portée tragique en fait quasiment un film dans le film ; un rôle en or.

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Wagner musicien de génie, détesté par beaucoup, adulé par une poignée, tantôt profiteur tantôt ami fidèle est interprété par un Trevor Howard qui s'en donne à coeur joie, peut-être en fait-il un peu trop mais qu'importe, c'est un réel plaisir de le voir s'emporter comme un enfant, tempêter comme un furieux...la relation qui l'uni à Louis II est assez ambigüe (on finit par se demander ec qui n'est pas ambigüe dans cette oeuvre) on ne saura jamais vraiment si Wagner est un véritable ami pour le roi de Bavière, même si ce dernier semble y croire plus que de raison (ce qui ne l'empêche pas de faire preuve d'une certaine fermeté sous la pression de ses conseillers).

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Dans le rôle d'Otto, le frère de Ludwig, C'est John Moulder Brown (déjà vu dans une production Hammer Film : le cirque des vampires en 1971) qui surprend énormément. Le jeune acteur nous dévoile tout son talent en jouant la folie de la manière la plus convaincante et la plus pathétique qui soit.

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le reste du casting est évidemment à la hauteur de la production, mais je me suis déjà trop attardé sur les têtes d'affiches.





Cette galerie de personnages historiques évolue dans un cadre absolument démentielle ; Visconti a vu les choses en grand, qu'à celà ne tienne, il FAIT aussi les choses en GRAND. Des couloirs lambrisé, dorés, présentant une hauteur de plafond incalculable, des jardins dont l'entretient aurait effrayé LeNôtre, des pourpres, des rouges sombres des noirs, le tout agencé avec un goût certain, presque effrayant.

Une bande son composée en majeure partie d'extrait d'oeuvres classiques (on reconnaitra évidemment Wagner, mais aussi Shubert, Brahms et Nolan je crois) qui souligne toute la majesté, à la fois du personnage et de toute l'entreprise, qui souligne même devrait-on dire, la folie, à la fois du personnage et de toute l'entreprise.

Tous cela peut paraître une peu froid c'est vrai...eh bien pas qu'un peu en réalité : emporté par son désir de faire grand, Visconti semble aller trop loin, certes le film est majestueux, sans qualificatif possible tellement c'est...trop ?



Trop ? Evidemment trop, à quoi fallait-il s'attendre en associant Visconti à Louis II et à Wagner ? Dans toute sa splendeur "Ludwig" est froid, et dans toute sa froideur il est splendide !

12 août 2008

The Phantom of the Opera (1989)

Réalisé par Dwight. H. Little.
Avec Robert Englund, Jill Schoelen, Alex Hyde-White, Bill Nighy...

Musique composée par Misha Segal.

D'après le roman de Gaston Leroux.

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New York, fin des années 80, la jeune cantatrice Christine Day se prépare à passer une audition à laquelle elle veut évidemment faire sensation, pour cela, elle charge meg, son impressario de lui trouver un morceau exceptionnel, fut-ce t-il inconnu du grand public. le morceau que meg a dégoté à la bibliothèque musical, coincé entre deux volumes est extrait d'un opéra inachevé composé à la fin du XIXème siècle par le mystérieux Erik Destler ; Dom Juan Triumphant.

Opéra de Londres, fin du XIXème siècle, la jeune Christine Daaé est visité par un étrange professeur qui ne dévoile jamais son visage et qui est prêt à tout pour lui faire obtenir le premier rôle sur scène...même au meurtre...

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Depuis l'adaptation de Rupert Julian avec Lon Chaney en 1925, les adapations du Fantôme de l'Opéra de Leroux ont fleuri sur les écrans à intervalle régulier d'environ 15-20 ans (1925, 1943, 1962, 1976...) mais dès les années 80 tout s'emballe et les adaptations toutes soit disant plus fidèles les unes que les autres se pressent au portillon. Cet engouement est certainement dû au succès de la comédie musicale D'Andrew Lloyd Webber, ce qui ne veut pas dire que les adaptations qui suivront seront de moindre qualité, puisque parmi les meilleures figurent celle de Tony Richardson, réalisée pour la télé en 1990 et justement celle qui nous intéresse, réalisé par Dwight H Little en 1989 et produite par une société baptisé 21th century film (qui paradoxalement ne verra jamais le 21ème siècle).


D'entrée de jeu, le film donne le ton ; c'est bien à du fantastique que nous aurons affaire là. beaucoup pourront crier au scandale, en invoquant l'absence totale de fantastique dans l'oeuvre originale. Et pourtant force est d'admettre que le roman baigne dans une atmosphère fort propice à ces sortes de choses et qu'il fallait bien qu'un jour un réalisateur s'intéresse à cet aspect du livre. le principe qui permet de relier la Christine de 1989 à celle de 1889 est peut-être un peu simpliste, voire un peu flou mais il fonctionne à merveille. De plus ce parti pris du fantastique permet de mettre plus en avant la thématique faustienne très présente dans le fantôme de l'opéra ; ici bien sûr comme souvent, et comme dans le roman, nous avons droit à la représentation sur scène de l'opéra de Gounod, mais aussi à une genèse totalement inédite du fantôme qui nous le montre pactisant avec le diable pour que le monde adule sa musique.


Ainsi, le démon lui dit que le monde l'aimera pour sa musique, mais UNIQUEMENT pour sa musique. C'est à partir de ce moment là que Erik Destler se retrouve défiguré et se condamne lui-même à vivre sous l'opéra de Londres. Robert Englund très à l'aise dans les rôles de composition (voire Freddy) offre ici un fantôme absolument étonnant, à la fois pathétique et cruel, un personnage tragique, magnifique qui éclipse facilement le fantôme rendu par un Michael Crawford par exemple (attention je ne dis pas que Crawford n'est pas excellent, c'est juste une autre façon de voir). Dans le rôle de Christine c'est Jill Schoelen qui semble vraiment s'investir, et nous livre une Christine radieuse, sincère et attachante. Le reste du casting est tout aussi remarquable, notamment un Bill Nighy nerveux et cabotin qui forme un couple parfait avec une Carlotta grandiose, carricature de Diva légèrement anachronique mais dont les apparitions à l'écran sont toujours délicieuses.



Au niveau technique cette adaptation n'est pas à mettre au rebus car elle se démarque assurément de toutes les précédentes ; L'opéra de Londres n'est certes pas l'opéra Garnier, mais les tons rouges et chauds font merveilles et les décors des souterrains sont simplement démentiels. Le sens esthétique de la production fait ses preuves à chaques minutes, mais on retiendra surtout la scènes du cimetière sous la neige, ou la superbe scène de bal où le fantôme apparait sous le masque de la mort rouge. Idem pour les effets spéciaux ; le film n'est pas avare en scènes sanglantes et le travaille dont le maquillage a fait l'objet est honorable. Le fantôme dans le film ne porte pas à proprement parler de masque, il reconstitue son visage avec des morceaux de peau humaine - un travail de couture douloureux - si Lon Chaney était l'homme au mille visages, Robert Englund est ici l'homme au mille morceaux de visages. Ces scènes sanglantes assez présentes, qui sont l'oeuvres de Kevin Yagher, ne gâchent en rien la beauté du métrage dans lequel Amour, Musique, Folie, Mort, Eternité se retrouvent étroitement liée le temps d'un ballet macabre dont le final comme souvent se révèle tragique et injuste.




La musique, évidemment au centre du métrage n'est pas en reste ; le film est porté par la mélodie de Dom Juan Triumphant, composée par Misha Segal qui réussit un tour de force extraordinaire : donner vie à une musique hypothétique sans pour autant s'éloigner de l'esprit ni du roman de Leroux ni du métrage émouvants, poignant et surtout aux accents très modernes. Les paroles de ce Dom Juan Triumphant sont aussi simples que belles et collent à merveille à l'ambiance et à la légende du fantôme :
"Your eyes see but my Shadow,
My heart is overflowing..."

Rien que ces deux première lignes évoquent joliment la dualité parfaitement équilibré entre romance et macabre. Outre la musique de Segal, c'est l'opéra de Gounod, Faust qui tient une place importante dans le film puisque l'histoire de Faust et celle d'Erik sont en dialogue constant.

La fin du film de Dwight H Little réserve une drôle de surprise que je ne trahirai pas, mais j'ajouterai que si l'accroche du film est "Only love and music are forever..."(seul l'amour et la musique sont éternels), ce film, avec avec son transfert du 20ème jusqu'au 19ème siècle, donne au fantôme le caractère intemporel qui le rapproche encore plus du personnage de Faust et en fait une figure flamboyante du romantisme noir : Phantom of the Opera is forever !


10 août 2008

Les femmes de ma vie # 1 : Barbara

Malgré ce qu'on peut penser, des femmes dans ma vie il y en a beaucoup, elles m'accompagnent, me consolent et je les aime. Il y en a beaucoup, ça c'est vrai, alors en créant cette rubrique je me suis dit "mais par qui commencer ? faut-il vraiment choisir, cela veut-il dire qu'il en est une plus importante qu'une autre ?" Non bien sûr que non...enfin si...s'il en est une qui toujours est présente à mon esprit c'est bien elle ; Barbara.


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Lorsque je l'écoute, je n'entend plus rien d'autre, lorsque tout va bien elle parvient à me faire pleurer et quand je pleure, elle seule peut me consoler. Elle est ma "Longue Dame Brune". Jamais je ne me sens étranger à ce qu'elle chante, elle chante l'amour, le chagrin, la mort aussi, mieux que personne, de sa voix feutrée, elle chante la vie, drapée de noir dans la lumière (comment ça, ça veut rien dire ? ouais peut-être...)....
"Sur la fumée des cigarettes, l'amour s'en va, mon coeur s'arrête" (pour qui cela n'a-t-il pas un jour été vrai ?)









C'est parce que ton épaule à mon épaule,

Ta bouche à mes cheveux

Et ta main sur mon cou,

C'est parce que, dans mes reins,

Quand ton souffle me frôle,

C'est parce que tes mains,

C'est parce que joue à joue,

C'est parce qu'au matin,

C'est parce qu'à la nuit,

Quand tu dis "viens", je viens.

Tu souris, je souris.

C'est parce qu'ici ou là,

Dans un autre pays,

Pourvu que tu y sois,

C'est toujours mon pays.

C'est parce que je t'aime

Que je préfère m'en aller.

C'est mieux, bien mieux, de se quitter

Avant que ne meure le temps d'aimer.

C'est parce que j'ai peur de voir s'endeuiller

Les minutes, les heures, les secondes passées,

C'est parce que je sais qu'il faut un presque rien

Pour défaire une nuit et se perdre au matin.

Je ne laisserai pas pencher sur notre lit

Ni l'ombre d'un regret, ni l'ombre d'un ennui.

Je ne laisserai pas mourir au fil des jours

Ce qui fut toi et moi, ce qui fut notre amour.

Pour qu'il ne soit jamais emporté par le temps,

Je l'emporte moi-même. Il restera vivant.

Oh laisse-moi, je t'aime

Mais je préfère m'en aller.

C'est mieux, tu sais, de se quitter

Avant que ne meure le temps d'aimer.

J'en ai vu, comme nous, qui allaient à pas lents

Et portaient leur amour comme on porte un enfant.

J'en ai vu, comme nous, qui allaient à pas lents

Et tombaient à genoux, dans le soir finissant.

Je les ai retrouvés, furieux et combattant

Comme deux loups blessés. Que sont-ils maintenant ?

Ca, je ne veux pas. Je t'aime.

Je ne veux pas nous déchirer.

C'est mieux, tu sais, de nous quitter

Avant que ne meure le temps d'aimer.

C'est mieux, bien mieux, de nous quitter

Avant que ne meure le temps d'aimer...

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Dracula (1979)

Réalisé par John Badham.

Avec Frank Langella, Laurence Olivier, Kate Nelligan, Donald Pleasance.
Musique de John Williams.
Basé sur le Roman de Bram Stoker.





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1911, le Demeter, un cargot roumain à destination du port de Scarborough se brise sur les rochers non loin de l'asile du Dr Seward (Donald Pleasance) à Whitby. C'est la jeune Mina van Helsing (Jan Francis) qui, comme attirée en plein orage par le navire échoué porte secours à celui qui semble être le seul survivant. Elle s'approche de l'homme couché sur le sol, et s'agenouille, doucement, il avance une main faible et saisi celle de Mina...elle ne sait pas encore que ce geste aussi touchantsoit-il va sceller sa perte.


Passé cette superbe introduction, Nous retrouvons les personnages de Stoker, tous interprétés avec brio par une distribution magique. Si on peut repprocher à Badham quelques modifications par rapport aux différents statuts des protagonistes (Modifications déjà présentes dans l'adaptation théâtrale d'Hamilton Dean ainsi que dans le grand classique de Tod Browning avec Bela Lugosi, qui font de Jack Seward le père de Lucy et d'Abraham van Helsing le père de Mina, et qui suppriment du scénario les personnages d'Arthur Holmwood et de Quincey Morris), On ne peut en aucun cas lui repprocher son traitement de ces mêmes personnages, qui si ils ne sont pas les exactes répliques de leurs homologues Stokeriens, n'en sont pas moins psychologiquement très riches.

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-Commençons d'abord par Mina (Jan Francis); la place qu'elle occupe dans le film est en réalité celle de lucy, première victime du vampire, qui connait une fin plutôt atroce, dispensée par ceux même qui ne veulent que son bien. Mina est une jeunne fille fragile, maladive et réservée, qui
demande beaucoup d'attention à cause de sa santé (Seward fait d'ailleurs remarquer à sa fille "mais ma chérie ton amie est TOUJOURS malade !!" balayant ainsi les arguments de Lucy qui souhaite rester auprès de Mina en invoquant sa santé fragile). Son innocence est à l'origine de son cruel destin, c'est l'ignorance de ce qui l'attend dans l'ombre, en suivant dracula, qui va la transformer, non pas en femme épanouie, mais en créature torturée et asoiffée de sang, le visage putréfié, allant jusqu'à s'attaquer à un bébé. Pour Badham, la véritable victime, celle qui craint le vampire, celle qui refoule ses désires, devient la créature qu'est Lucy une fois morte dans le roman, et non celle qui ne craint pas l'inconnu, le désir, la chair...

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-Vous avez dit Coincé ? Eh oui, Jonathan Harker (Trevor Eve) remporte la palme. le rôle de Jonathan pour Badham est clairment celui d'un obstacle en Lucy et son épanouissement total, si son amour est réel, sa jalousie, son manque de finesse, sa brutalité (envers la lucy devenu vampire) en font un personnage facilement détestable. Le jeu de Trevor Eve sans être le plus remarquable du film est extrèmement juste, malheureusement pour ce pauvre Jonathan, le charisme de Dracula/langella a vite fait de n'en faire qu'une bouchée.


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-Le père de Lucy, le Docteur Seward (Donald Pleasance) est lui aussi un personnage peu subtile mais ô combien attachant. Pleasance prête son embonpoint à un Seward gourmant et froussard dont on a peine à croire qu'il puisse être le père d'une divine créature comme sa fille. Badham en fait un personnage extrêmement ironique, celui du médecin qui ne parvient jamais à prendre un cas au sérieux, le spassages où on le voit dans son asile en témoignent, et sa réaction face à la
mort de Mina (Il lui donne des claques pour qu'elle respire, et plus tard en discute tout à fait naturellement en déjeunant, manquant de tacher sa veste de jaune d'oeuf) parait complêtement déplacé. On peut noter une réplique très significative du personnage, lorsqu'ayant dit à Van Helsing qu'il avait donné du laudanum à Mina pour la calmer, il lui dit plus tard que jamais il n'en donnerai à sa propre fille...bref, ce cher Seward/Pleasance présente bien des travers, mais il attire très vite toute la sympathie du spectateur.


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-On en arrive à Abraham Van Helsing, interprété par un Laurence Olivier un brin fatigué mais qui n'a rien perdu de sa prestance. Il n'est pas le Van Helsing enthousiaste et robuste de Stoker et fait plutôt figure de vieillard face à Dracula, mais sa répartie, sa manière de tenir tête au vampire alors qu'il pourrait en aller de sa vie donnent une impression de puissance et de sagesse infinie. Il parvient plusieurs fois à faire echec au vampire mais en sort toujours à bout de souffle, cette faiblesse, qui pour beaucoup empêche Olivier de rester comme l'un des meilleurs Van Helsing, est pourtant nécessaire, car elle permet à Badham de montrer que dans une angleterre au relents Victoriens, l'affirmation du désir est sur le point de prendre le pas sur le puritanisme du XIXème siècle.


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-Bien au dessus de ces personnages bien-comme-il-faut, encore ancrés dans l'ère victorienne et ses tabous, flotte l'ombre menaçante (ou libératrice) de Dracula.
L'acteur Frank Langella insufle au personnage un standing totalement nouveau, très différent de celui initié par Bela Lugosi, Christopher lee etc. Badham semble clair là dessus l'avantage est au vampire et c'est pour lui que nous prendrons fait et cause. En effet à la vue du couple Lucy/Dracula, on ne peut que souhaiter qu'ils échappent tous deux enfin à cette société castratrice, qu'ils s'éloignent de ce monde des vivants qui par bien des aspects évoque la mort. Dracula/Langella éclipse très vite les gentils, et Jonathan disparait, avalé tout cru par l'aura magnifique et sensuelle du vampire. cette opposition est très bien rendu lors d'une superbe scène de valse ; lucy et Dracula dansent, à un rythme endiablé, sous le regard d'un Jonathan qui achève de nous paraître moche et con. Non content de monopoliser l'attention de ces dames (et de ces messieurs) lorsqu'il est là, Dracula semble même présent lorsqu'il est absent ; sa présence est sans cesse suggérée, par des symboles plus ou moins flagrants, comme lorsque Lucy se rend à Carfax, ("par courtoisie" comme elle dit à son père, pour ne pas faire l'affront de refuser une invitation à diner du comte) et entre dans la magnifique salle à manger : Dracula n'est visiblement pas là, mais la caméra est postée dans un coin, juste au dessus d'une toile d'araignée, toile qui se superpose donc sur Lucy en contrebas. La jeune femme semble donc piégée dans la toile.

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- Mais Lucy (Kate Nelligan) n'est pas femme à se laisser piéger, si elle s'abandonne à Dracula c'est avant tout parce qu'elle le veut ("Je suis venu de mon plein gré" en référence à la phrase bien connu "entrez ici de votre plein gré"). Kate Nelligan
nous offre ici une performance qui vole littéralement la vedette à Dracula, pour une fois enfin, la femme n'est plus la victime passive qui attend d'être sauvé mais bien l'actrice principale de la trame. Exit les jolies filles aux cris éffarouchés, voici la femme émancipée ("Nous ne sommes pas des meubles" dira-t-elle à Mina) qui n'est pas là pour décorer. quand elle dit qu'elle suivra Dracula, on ne la pense pas du tout sous l'influence d'un quelconque maléfice, car on sent, on sait que c'est là son désir, d'échapper enfin à un monde de convenances, à un Jonathan trop peu ambitieux (et pas aussi séduisant que son amant immortel il faut bien le dire). ce n'est pas à Dracula qu'elle attribut la mort de Mina, mais aux trois homme qui l'entourent et disent la protéger; comment peut-elle faire confiance à son père, à son futur mari ou à ce Van helsing qui se dit son ami, alors qu'elle les a vu transpercer sa pauvre ami d'un pieux, elle qui venait juste de passer à un nouveau stade d'existance, comment peut-elle faire confiance à un père aimant qui n'hésite pas à arracher le coeur de sa défunte fille en disant vouloir la sauver ? Elle ne le peut tout simplement pas, car jamais elle ne deviendra ce que Mina est devenu, car elle sait ce qui l'attend, elle n'est plus une victime car Dracula la hisse à son rang et ce n'est plus une scène de morsure à laquelle on assiste lorsque Dracula vient la visiter dans sa chambre mais à une scène d'amour, sublimée par un éclairage parfait. Pour Badham, Dracula, c'est l'amour.



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D'un point de vue esthétique, ce Dracula est particulièrement somptueux, les décors ont fait l'objet d'une attention et d'une créativité qui les rendent particulièrement imposants, il faut voir l'idée que Badham se fait de l'abbaye de carfax, qui prend ici les atours du chateau original de Dracula, haut perché sur les rocailles, un décors en apparence parfaitement gothique mais aussi terriblement érotique, qui semble inviter le vampire et sa proie à des jeux de morsures plus poussés.


Le soin apporté à la photographie est à tomber à la renverse, tout comme la magnifique partition composée par le talentueux John Williams qui évoque avec brio l'âme torturée du vampire.

Bref, John Badham est parvenu à nous offrir la quintescence du vampire, épaulé par une pléiade d'acteurs magiques, le couple Kate Nelligan/Frank Langella en tête. Ce Dracula aux allures de Dom Juan maudit fait figure de chef-d'oeuvre !