28 oct. 2009

Les Vampires (1956)

Réalisé par Mario Bava et Ricardo Freda en 1956.
Avec :Gianna Maria Canale, Dario Michaelis, Carlo D’Angelo, Wandisa Guida, Angelo Galassi, Renato Tontini, Antoine Balpêtré, Paul Muller...

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Paris, 1956 - Le corps d'une jeune femme est retrouvé exsangue dans la scène. Pour la presse à sensation, il ne fait aucun doute que c'est là un nouveau crime perpétré par le tueur en série surnommé Le Vampire. Pierre Lantin, journaliste, n'hésite pas à marcher sur les platte-bandes de la police pour tenter d'élucider l'enquête. Le zèle du jeune homme déplait au chef de la police et le patron du journal interdit à Lantin de rester sur l'affaire, l'obligeant à écrire un papier sur le bal donné par Gisèle Du Grand et auquel il est par ailleurs convié. Malheureusement, Giselle, malgré sa beauté, ses titres, et le château de sa famille, ne plait guère à Pierre. Un signe du destin, puisqu’autrefois, la Duchesse Marguerite Du Grand éprouva un amour fou pour le père du journaliste ; un amour qui, lui aussi, n’était pas réciproque…
I Vampiri, est un film marquant dans l'histoire du cinéma, on peut en effet dire qu'il s'agit du premier film d'épouvante Italien (le genre étant interdit auparavant en Italie), ainsi que du seul film d'horreur néo-réaliste qui soit, selon Jean Pierre Dionet, ayant ouvert la voie du gothique fantastique au cinéma italien. Sans entrer dans les détails de ces répercussions, Les Vampires est avant tout une oeuvre splendide malgré les difficultés du tournage :
Ricardo Freda quitte le plateau suite à une crise contre la production, laissant le film inachevé, et inexploitable (pour cause, il en manque plus de la moitié). C'est à Mario Bava que revient la tache d'achever le film, lui qui n'a encore aucun long métrage à son actif et à qui ne dispose plus que de 3 jours. Heureusement, le directeur de la photographie (c'est ainsi qu'il est crédité au générique) a plus d'un tour dans son sac.
Mario Bava est un réalisateur de talent et un auteur fascinant à plus d'un titre, Les Vampires, dont il peut assumer en grande partie la paternité le prouve à chaque instant. Tourné tantôt dans des décors se voulant réalistes d'un Paris fantasmé (il ne s'agit que de surimpressions de monuments parisiens en arrière plan des ruelles de Rome), tantôt dans des décors gothiques (crypte, Château etc...) qui peupleront bientôt les chef-d'oeuvres de Bava (Le Masque du Démon, le corps et le Fouet et Opération peur, pour n'en citer que 3), il distille une atmosphère d'une rare élégance, magnifiée par un noir et blanc superbe et par une photographie exemplaire.
Evoluants dans ces décors, des personnages typés de films noirs nous sont peu à peu dévoilés, tournant autour du couple phare et impossible : Le journaliste en imperméable clair, Pierre Lantin et la femme fatale à la cigarette, Gisèle Du Grand.
Leur situation est dangereuse, Gisèle est éperdument amoureuse de Pierre, comme Margueritte sa tante, était amoureuse de son père. Si la situation est dangereuse, c'est bien parce que c'est Gisèle qui est amoureuse, elle qui n'a qu'une peur, vieillir et qui est toujours rejetée par l'homme qu'elle aime, comme sa tante fut rejetée par celui qu'elle aimait.
Ces similitudes vont conduire Paul, mais surtout le spectateur à soupçonner l'horrible vengeance qu'accomplit Gisèle, non sur Pierre mais sur le temps...


Le film est dominé par l'éblouissante et terrifiante prestation de Gianna Maria Canale (l'épouse de Ricardo Freda) dans un double rôle tragique qui donne au film une ampleur qu'on retrouvera dans très peu de films sur le sujet et qui permet à Bava une très belle reflexion sur la perversité du cinéma, qui aime mettre ses personnages déchéants face à leur propre image.


Autour de la scène du miroir

(le texte qui suit contient d'importantes révélations sur l'intrigue)

La scène la plus mémorable du film reste sans conteste celle ci : Gisèle, après le bal, allume une cigarette et enclenche un phonographe, puis s'admirant dans le miroir répète "Je suis belle", comme pour se convaincre que ça ne changera pas et soupir "Pierre".
Elle est interrompu par l'arrivée d'un homme qui n'est pas Pierre et qui dit l'aimer.
le début de la scène semble hors du temps : Gisèle est masquée par la fumée de sa cigarette, comme derrière un voile de brume qui la coupe du monde réel, impression renforcée par la musique diégétique, qui s'arrêtera lors d'un brusque retour à la réalité.
Lorsque Margueritte fait son apparition, la transition est fluide (le génie d'un maquillage très simple) et les deux femmes apparaissent successivement dans le même plan, l'arrêt de la musique souligne le changement. Margueritte tue le gêneur puis se dirige à nouveau vers le miroir revolver à la main.

le reflet qui jusqu'ici nous avait été caché nous apparait dans un cruel contre champ et le "je suis belle" de départ devient "je te hais" avant que la vampire ne supprime cette image d'elle-même que lui renvoie le miroir. Elle hais cette autre qui est vieille et qui donc n'est pas elle, elle ne vit que lorsqu'elle est Gisèle, elle ne vit qu'hors du temps.

Il n'est pas nécessaire que nous soit montré le visage de Gisèle rajeunit, puisque pour elle, c'est sa véritable image qu'elle voit et face à laquelle elle emploie la première personne: "je". Alors que le reflet de Margueritte lui apparait comme celui d'une étrangère, non qu'elle ne la connaisse pas, elle ne la connait que trop bien, mais refuse de partager son physique avec cette vieille femme incapable de séduire l'homme qu'elle aime. Tirer sur le miroir après avoir crié à cette autre "je te hais" est une manière d'annuler cette ressemblance, de faire disparaitre Margueritte.
Ce reflet à pour nous une fonction révélatrice : avec l'arrêt de la musique la scène s'est à nouveau ancrée dans la réalité et avec cette réalité c'est le véritable visage de Gisèle qui réapparaît, beaucoup plus insistant que celui qu'elle voudrait conserver.

La destruction de cette image de Margueritte par Gisèle préfigure la fin du personnage, lorsqu'une dernière fois, l'éphémère Gisèle reprendra les traits de la duchesse qui la trahiront et la conduiront à sa perte : La victoire du temps sur cette comtesse Bathory moderne.

18 oct. 2009

Anno Dracula


Roman de Kim Newman, publié en 1992.
Avon Books (fiction) n°72345.
403 pages.
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1992, grande année pour un certain vampire, c'est en effet l'année de la sortie du fameux Bram Stoker's Dracula de F.F. Coppola. Les années 90 dans leur globalité ont été une décénie intéressante pour le vampire puisque, plus que les films, les romans autour du personnages ont été somme toute prolifiques. On peut citer en vrac la saga de Fred Saberhagen, débutée avec Les Confessions de Dracula (suivront Les dossiers Holmes/Dracula et une floppée d'autres), l'excellente sequelle de Freda Warrington, Le Retour de Dracula, ou encore le pastiche savoureux de Tony Marks, L'Autre Dracula. Ces romans sont aujourd'hui malheureusement de grands oubliés de nos librairies (même si la sortie récente de Dracula The Un-Dead, par Dacre Stoker va peut-être changer la donne) et Anno Dracula ne fait pas exception !
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Nous sommes en 1888, et l'Angleterre est sous le joug d'un nouveau prince consort, en effet la Reine Victoria est l'épouse du Prince Vlad Tepes, connu dans toute l'Europe sous le nom de Comte Dracula ! L'ère des vampires est arrivée, une ère de décadence et d'oppression dont le symbole radicale est la tête d'Abraham Van Helsing...au bout d'une pique, pourrissant devant Buckingham Palace. Mais tandis que Londres sombre peu à peu dans les ténèbres, un minutieux tueur en série s'applique à dépeupler les bouges de Whitechapel en éventrant les prostituées...l'affaire semble assez banale jusqu'à ce qu'un message à la craie apparaisse sur l'un des murs d'une ruelle "Vampires will not be blamed for nothing" dès lors, l'affaire recquiert l'intervention des services secrets, menés par un Mycroft Holmes désabusé.
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Voila pour la petite histoire, un pitch intéressant pour un cross over sinon maintes fois vu, maintes fois fantasmé. Mais en dehors des grandes lignes qui revisitent la chûte de Dracula et les évênement de 1888, qu'offre réellement Anno Dracula ?
Kim Newman, dandy des temps modernes ancien artiste de cabaret et spécialiste des vampires sous toutes leur formes réussit à nous emmener dans un londres ténébreux plus vrai que nature et à nous faire cottoyer les protagonistes les plus connus du monde littéraire de l'époque, auteurs comme personnages, c'est ainsi qu'on croisera le temps d'une reception Florence Stoker, veuve de l'opposant Bram Stoker, riant flûte de champagne à la main, d'un trait d'humour piquant de Lord Godalming, ce cher Arthur que nous avions quitté chaud et que nous retrouvons froid comme la mort mais toujours aussi vif, pour une petite autopsie, ça sera avec le taciturne et frèle Dr Jekyll qui partage un antique laboratoire avec le Dr Moreau, on retrouvera dans les bureaux de Scotland Yard l'inspecteur Abberline désemparé, Sir Charles Warren qui risque sa tête et qui passe ses colères sur un Lestrade "jeune-vampirisé", un Dr Seward Nevrosé, et le temps d'une entrevue à Buckingham palace, un Josef Merrick effacé, Une veuve Harker qui s'est plutôt bien remise, Un prince Consort féroce et une reine qu'on sort, littéralement.
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Inutile de vous préciser que les choses vues sous cet angle rendent la lecture savoureuse sans que pour autant le tout paraisse trop léger. Kim Newman ne propose pas une telle galerie de personnages pour rien et l'utilise au mieux, même si certaines figures sont par trop sous-employées. En plus de ses figures connues, il est agréable de découvrir de nouvelles têtes avec Charles Beauregard, employé par la Diogènes Society et surtout, le personnages le plus remarquable du roman, Geneviève Dieudonné, une "ancienne" plutôt avant-gardiste, élégante et petillante, si vivante qu'elle parait traverser les pages !
Avec le personnage de Dracula, Newman réussit un petit tour de force, car la figure malfaisante est presque absente de l'intégralité du livre, mais elle est sans cesse suggérée et l'oppression qui règne dans Londres est la digne conséquence des menaces apocalyptiques proférées par le comte dans le roman de Stoker.
Il serait dommage de divulguer un quelconque pan de l'intrigue tant toutes les surprises que recèle Anno Dracula sont délicieuses et souvent d'une extraordinaire complexité, depuis la révélation concernant l'identité de coupable jusqu'à une foule de références qui feront la joie des amateurs de littérature et de cinéma vampirique !
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Anno Dracula est un véritable roman gothique, sombre et remarquablement écrit, d'autant plus remarquable qu'il s'affranchit du style épistolaire du Dracula de Stoker, duquel tant d'auteurs s'étant essayés à l'exercice n'ont pas su se détacher : Un magnifique hommage et un premier tome brillant pour une trilogie trop peu connue.