Réalisé par Dario Argento en 2012
Avec Asia Argento, Thomas Kretschman, Rutger Hauer...
Musique de Claudio Simonetti
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Les années 2000 n’ont pas été
tendres avec Dario Argento : Si LE SANG DES INNOCENTS laissait espérer un
retour en force du maestro dans le genre qu’il avait popularisé au début des
années 70, le polar dépressif THE CARD PLAYER, le méta-giallo VOUS AIMEZ
HITCHCOCK, et surtout le dernier volet de la trilogie des trois mères, MOTHER
OF TEARS ainsi que le thriller mal nommé GIALLO, ont divisé les fans et
consacré Argento « has been ». Ces deux derniers essais relevaient
pourtant d’une volonté de retour aux fondamentaux, mais force est de constaté
que déléguer aux scénaristes Jace
Anderson et Adam Gierasch la prolongation de son œuvre ésotérique était une
très mauvaise idée (rappelons qu’ils sont derrière l’immonde MORTUARY de Tobe
Hooper), et que mettre en scène leur vision erronée avec autant d’aplomb
laissait planer le doute quant à la lucidité du réalisateur. GIALLO au
contraire ne souffre pas tant de tares scénaristiques et visuelles, qui sont
bien moins frappantes que celles de LA TERZA MADRE, que de son titre qui laisse
espérer une synthèse du giallo alors que le film n’est qu’un thriller
classique. Moins ambitieux, mieux appréhendé, GIALLO ressemble à l’œuvre d’un
cinéaste débutant, encombré par un casting trop lourd (Emmanuelle Seigner,
Adrien Brody…), peu concerné par l’histoire qu’il raconte, mais tentant du
mieux qu’il peut de travailler une esthétique, une mise en scène et une
atmosphère.
Dans cette mécanique du retour
aux sources, Argento s’attaque à l’une des figures les plus emblématiques du
cinéma fantastique : Dracula. S’il caressait depuis longtemps l’idée de
réaliser un film de vampire, ce n’est qu’en 2010 qu’il s’attèle à la tâche,
entamant un travail d’adaptation très personnelle du roman de Bram Stoker, ce
qui laisse craindre le pire pour ceux qui n’ont pas encore avalé un FANTÔME DE L’OPERA qui ne trahissait pourtant pas tant que ça le roman de Leroux. Mais
DRACULA ne se veut pas tant une adaptation du roman de Stoker, selon les dires
du réalisateur qu’une révision nostalgique de l’histoire du vampire au cinéma.
Encore faut-il que la vision qu’a Argento des films Universal ou Hammer soit la
même que la nôtre… Visiblement ce n’est pas le cas.
Le DRACULA de Dario Argento
évoque plus facilement celui de Jess Franco que celui de Terence Fisher, même
si les écarts par rapport au roman sont pour la plupart empruntés à de
nombreuses adaptations passées. Ainsi Jonathan Harker se rend au château de
Dracula en tant que bibliothécaire comme dans LE CAUCHEMAR DE DRACULA (1958),
il y rencontre une jeune femme énigmatique qui se nomme Tania comme dans LES CICATRICES DE DRACULA (1970), et sa fiancée Mina est la réincarnation du grand
amour perdu de Dracula, comme dans le DRACULA de Dan Curtis (1973) et celui de
Francis Ford Coppola (1992). Au-delà de ces similitudes, le reste du métrage
acquiert une certaine identité, peut-être par son dépouillement. Difficile en
tout cas de reconnaitre Argento dans cette émanation vampirique bisseuse tout
droit sortie des années 70. DRACULA n’est pas la perle gothique qu’on pouvait
attendre d’un Argento désireux de revenir aux bases du cinéma fantastique, mais
à tout du film en retard sur son temps. Ce retard, le réalisateur pensait
peut-être le rattraper grâce à la 3D, qui toute immersive qu’elle soit n’en
souligne pas moins des effets spéciaux à base d’image de synthèse inachevées,
dont beaucoup relèvent de la faute de goût (une araignée en CGI ? En
filmer une vraie n’aurait-il pas été plus facile ? Ou est-ce là l’araignée
en plastique de studio 2.0 ?). La palme revient à une mante religieuse
géante d’un vert criard, incrustée sans ménagement.
Cette entêtement à
expérimenter toutes les techniques possibles vient gâcher le plaisir qu’on a à
admirer le panache d’une mise en scène qui est bien celle d’un Argento soucieux
d’adapter le récit vampirique aux canons de son cinéma. Autre constat
malheureux, un casting totalement à côté de la plaque, qui parvient au moins à
être homogène dans sa médiocrité, d’une Lucy qui refoule ses penchants
homosexuels au grand dam du public sous le charme ambigu de la demoiselle (la
Lucy en question étant bien entendu Asia Argento) à un Dracula sans envergue
(Thomas Kretschman) dont le jeu fade et mal assuré rappelle l’effort plus
convaincant tout de même de Louis Jourdan dans l’adaptation de Philip Saville
(1977). Le seul à tirer son épingle du jeu est le toujours fringant Rutger
Hauer dont le Van Helsing n’apparaît qu’après une bonne moitié du film (Argento ici exauce mon souhait de voir Rutger Hauer, que je considère comme un immense acteur, interpréter Van Helsing, comme Guy Ritchie avait exaucé celui de voir enfin Stephen Fry interpréter Mycroft Holmes). Tel le
docteur Loomis dans HALLOWEEN 6 (1996), le spécialiste des vampires surprend
Mina dans sa propre maison, pour lui dire qu’il peut l’aider. Oui l’aider,
parce qu’à ce stade Lucy est morte, Jonathan n’est pas rentré, les loups
hurlent et les villageois accrochent de l’ail partout, bref elle a bien des
raisons de faire une dépression. En fin psychologue, Van Helsing veut lui faire
subir un choc psychologique, pour qu’elle voit enfin la vie en rose et vienne
dégommer le saigneur en chef avec lui, quoi de mieux pour se faire que d’aller
cramer Lucy !
Le reste de la trame embraille
sur le schéma classique, et inexplicablement DRACULA exerce sa fascination sur
le spectateur comme son personnage centrale sur Mina. Force est de constater
que dans sa naïveté, le film touche et parle au cœur de l’amateur de cinéma bis
qui n’en peux plus des révisions aseptisées à base de triolisme asexué
(Twilight). Dans sa plastique évoquée plus haut, il parvient à charmer aussi,
les intérieurs étant bien souvent réduits à des murs de pierre décorés d’ail et
de crucifix, et les extérieurs, mis à part un village filmé à la Herzog, se
résument à une forêt dont l’obscurité en dehors du sentier relève d’une totale
opacité. Cette Transylvanie selon Argento n’est pas sans évoquer les Alpes
suisses de PHENOMENA que peuplaient déjà les essaims de mouches qui sont ici
l’une des nombreuses formes que peu prendre Dracula. Dans sa simplicité et dans
le resserrement de son intrigue à un lieu unique, la Transylvanie, avec ses
territoires bien délimités (le village, le château et la forêt qui les
sépare) et son développement des seuls personnages véritablement nécessaires à
l’intrigue (Jonathan, Mina, Lucy, Dracula, Van Helsing), DRACULA tient presque
du schéma de conte de fée.
Alors que le film s’est achevé
sans véritable surprise, on en vient à se réjouir qu’on puisse voir en 2013 un
film tel que celui-ci : au récit calqué sur les plus vieux codes du genre,
mais au service duquel sont mises toutes les techniques modernes. Le résultat
bâtard divise une fois de plus, et s’il prête parfois à rire, ce rire-là est
plus franc, moins effaré, moins douloureux que celui qui accompagnât en son
temps LA TERZA MADRE, la dernière réplique aidant, en brisant la solennité dont
on pouvait croire le film empli, à mettre en avant le talent indéniable de Dario
Argento pour amuser la galerie.
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